Images of Dream. Forest of Symbols, Sara ABOU MRAD
ArtDu 11/10/2021 à 00:00 jusqu'au 12/11/2021 à 00:00
Alexandre Najjar, Des forêts de symboles. Ecricain, directeur de L’Orient littéraire.
Sara Abou Mrad est ce qu’on appelle un phénomène, une sorte de météore en provenance du Liban, cette terre où se rencontrent Orient et Occident et qui a donné au monde les mythes d’Europe et d’Adonis. L’oeuvre picturale de Sara se situe précisément au confluent de ces deux cultures et se nourrit de mythes créés par son imagination fertile, comme Matilda, cette femme aux seins lourds qui survit à toutes les épreuves, ou Sleeper, ce bonhomme manchot qui marche obstinément.
Les oeuvres de Sara Abou Mrad résultent d’une synthèse, d’une recomposition, traduisant des émotions mêlées à la fois à des rêves, des envies, des souvenirs et des désirs. D’où son style symbolique, surréel et onirique, qui rappelle par moments l’univers de William Blake. Signes et symboles, puisés dans la faune et la flore, la ville et la religion, engendrent le mystère et offrent une perspective ascensionnelle. Le souci décoratif s’y allie à la spiritualité ; et l’érotisme mène à une fusion du corps et de l’esprit, qui tend par le désir vers le divin, dans une démarche qu’on retrouve dans le soufisme.
Les oeuvres picturales de Sara sont rigoureusement structurées en une succession de plans. Ses histoires, peuplées d’anges ou de créatures étranges, se déroulent souvent entre Ciel et Terre, ce qui nous donne l’impression d’un songe énigmatique. Elle aime construire ses dessins en adoptant différentes compositions, plus ou moins complexes, comme la composition symétrique dans "L’Union un Jour", décentrée dans "Le Cirque du Soleil", horizontale dans "Le Sommeil", triangulaire dans "Auto-portrait en Vénus", basée sur des diagonales comme dans" La Promenade de la Mariée", fermée dans "La Danse du Soir", ouverte et verticale dans "La Rencontre". Il y a dans son art une véritable architecture, une construction qui sublime le thème abordé et encadre sans l’enfermer son imagination débordante.
La transparence des couleurs est également remarquable chez l’artiste, qui déclare à ce propos : "J’ai opté pour cette technique de peinture, car elle ressemble le plus à mon âme comme à mes émotions, qui sont toujours à fleur de peau". La superposition des couches de couleurs, les nuances des tons insufflent un effet magique à ses œuvres. Des cieux tantôt violets, bleutés, rosâtres ou jaunâtres, veloutés ou satinés accentuent l’ambiance envoûtante de l’atmosphère. Des contrastes forts et harmonieux, distribués en équilibre sur la surface des toiles chargées de détails, surprennent le regard et participent à la singularité de l’ensemble.
Sara Abou Mrad s’est imposée comme l’une des artistes les plus douées de sa génération, grâce à son style personnel et à son monde peuplé de symboles et de correspondances, qui nous renvoie à ces fameux vers de Baudelaire :
La Nature est un temple où de vivants piliers
Laissent parfois sortir de confuses paroles ;
L’homme y passe à travers des forêts de symboles
Qui l’observent avec des regards familiers.
Comme de longs échos qui de loin se confondent
Dans une ténébreuse et profonde unité,
Vaste comme la nuit et comme la clarté,
Les parfums, les couleurs et les sons se répondent.
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Thierry Savatier, Images de rêve. Ecrivain, historien d’art. Août 2021.
Sara Abou Mrad est née en 1988 à Wadi Chahrour, près de Beyrouth, dans une famille croyante et conservatrice. Diplômée des Beaux-Arts de l’Université libanaise, elle a créé, en 2010, un département artistique au sein de l’école de Sainte-Anne des Sœurs de Besançon (Beyrouth) où elle a enseigné. Elle a également créé, en 2016, un programme de formation destiné aux enfants aveugles pour l’ONG « Empowerment Through Integration ».
La peinture de Sara Abou Mrad traduit l’univers onirique qu’elle s’est créé depuis l’enfance et dont l’héroïne est son double, tardivement baptisé « Matilda » (2015). Un double dont elle avoue : « Elle est devenue ma cure, mon refuge, ma consolation. Elle raconte à travers des mises en scènes mes sentiments, les contrariétés subies, les ruptures, les changements survenus dans ma vie, les angoisses qui m’accablent parfois, et récemment, la renaissance, par la joie et l’amour retrouvé. »
Ses tableaux font penser à la définition qu’André Breton donnait des « images de rêve » dans son roman Nadja (1928) : « La production des images de rêve dépendant toujours au moins de ce double jeu de glaces, il y a là l’indication du rôle très spécial, sans doute éminemment révélateur, au plus haut degré "surdéterminant" au sens freudien, que sont appelées à jouer certaines impressions très fortes, nullement contaminables de moralité, vraiment ressenties "par-delà le bien et le mal" dans le rêve et, par suite, dans ce qu’on lui oppose sommairement sous le nom de réalité. » Son univers se rapproche en effet du surréalisme. Cela explique sans doute la présence, dans sa peinture, de références aux grands maîtres (Autoportrait en Vénus, 2021), de flores improbables et parfois inquiétantes, terrestres et aquatiques (La Danse du soir, 2021 ; La Mort dans l’âme, 2021), d’une faune surprenante et parfois hybride (La Toucane, 2021), de symboles religieux - le poisson/Ichthus - ou rituels (L’Ensemencement, 2021 ; Le Masque Toussian), d’anges ou encore d’un être central, sexué, animal anthropomorphe qu’elle nomme « le Lion » ou son « amoureux ». Ses personnages sont en éternel mouvement ; ils évoluent dans le ciel, dans l’eau, défient la gravité. Sa palette est vive, mais réserve au regardeur des nuances, des jeux de transparence semblables à ceux de l’aquarelle.
Chaque œuvre raconte une histoire. Ainsi, La Promenade de la mariée (2020) décrit-elle douze étapes de la vie de Matilda, du « Grand mariage » à « l’Assomption ». La Rencontre (2020), raconte la rencontre de Matilda et du Lion. Le Voyage onirique (2021) est une narration, sur le mode imaginaire, de la relation amoureuse de Matilda et du Lion sur fond de voyage à Paris. Dans ces toiles de grand format, tout est crypté, chaque détail a son importance pour en permettre l’interprétation.
Sara Abou Mrad a participé à plusieurs expositions collectives, notamment au Liban (Beirut Art Fair), au Luxembourg, aux Pays-Bas, en France, en Suisse, au Royaume-Uni, en Italie et au Qatar. Ses œuvres ont été couronnées de plusieurs prix, dont celui de l’Institut Goethe (2011, 2013), de la Beirut Design Week (2015) et de l’Accademia di Belle Arti de Bologne (2017). Lauréate du concours « Appel aux jeunes artistes du Liban » lancé par le Fonds Claude et France Lemand, une peinture et un cahier de 26 dessins ont rejoint le fonds permanant du Musée de l’IMA. Elle a enfin été reçue en résidence d’artiste à la Cité internationale des Arts de Paris en 2020, grâce à une bourse de l’Institut français du Liban.
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