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Youssef Abdelké

Art

Du 18/10/2023 à 18:00 jusqu'au 23/11/2023 à 18:00

Lire aussi LE RÉALISME FANTASTIQUE DE YOUSSEF ABDELKÉ

 

 

Grand observateur du phénomène vivant, graveur précis, rigoureux, méthodique, mais aussi poète en images, Abdelké a représenté d’abord des groupes humains aux têtes masquées, des acteurs en quête d’auteur, comme les personnages de Pirandello. Il les inscrivait dans la nuit, une nuit terriblement ténébreuse, où la mort et les monstres étaient omniprésents. Ce fut sa «comédie humaine», une comédie tragique, d’où le grotesque n’était jamais exclu. Peu à peu, les hommes ont disparu, et des animaux, des plantes ont surgi de la même nuit. Leur présence est si prégnante qu’on croit les toucher, les caresser des yeux. Aucun hyperréalisme là-dedans, ni même de « réalisme », au sens traditionnel de ce mot : tout se passe comme s’il réinventait, à chaque trait, la nature, une sorte d’encyclopédie, faite avec soin et au ralenti, des phénomènes naturels.

 

L’acuité de sa vision est telle qu’on se réveille comme d’un rêve en les regardant. Comme si on n’avait jamais vraiment vu, vu en profondeur et en relief ce qu’est un simple poisson. Abdelké entre dans le crâne, ou dans le poisson, ou dans un soulier de femme, comme Michaux « entrait » dans une pomme. Il a peut-être dépecé le poisson, avant de le reconstituer. Il ne « représente » donc jamais le poisson, le soulier de femme ou le crâne de bœuf : il les ressuscite. Tel est son pouvoir de fascination : tout est voué à mourir et à disparaître, mais tout peut être sauvé, comme d’un déluge. Chaque phénomène vivant est un miracle matériel, un trésor et une énigme. Ah la surprise que ça fait, quand on le redécouvre ! Je ne sais pas comment il se débrouille pour y parvenir. L’observation, l’attention la plus extrême n’y suffisent pas. Tout se passe comme s’il voulait réinventer le monde, et le préserver définitivement de l’offense, de l’indifférence et de l’oubli. Comme si, mort lui-même devant le crâne de bœuf, il voulait que tous les phénomènes vivants le remplacent, lui, le graveur syrien. Non, ce n’est pas « Abdelké » qui l’intéresse, c’est tout ce qui n’est pas Abdelké, tout ce qui survivra à Abdelké, tout ce qui dépasse de loin, de très loin, Abdelké.

 

Baudelaire, j’en suis certain, aurait été émerveillé par ses gravures, leur aurait consacré des poèmes, et des textes fervents, enthousiastes. Il y aura toujours du jour, et toujours de la nuit, toujours de la lumière, au moins encore pendant quelques milliards d’années, et toujours de l’obscurité. Et c’est dans cette lumière, c’est dans cette obscurité éternelle qu’Abdelké travaille, comme à la lueur d’une bougie, d’une simple petite bougie, vacillante dans son bougeoir. 

 

Quand il parvient à ce résultat, que j’appelle résurrection, il sourit, il est content, il s’arrête, pose son burin : pas la peine d’en rajouter. Ça vit, ou ça ne vit pas. Ça surgit, ça resurgit, ou ça ne resurgit pas. Toute la question de l’art est là. D’ailleurs, le mot « art » est inadéquat. Il ne s’agit pas d’art, mais de la métamorphose de la mort en existence vivante. Le poisson d’Abdelké n’est pas un poisson : c’est une flèche, un rayonnement, une respiration, un appel chuchoté à la vie. Mais c’est aussi un poisson, je ne sais pas, moi : un saumon, une sardine, un brochet. Mais il vole comme un oiseau dans la nuit où nous revoici plongés. Dans un grand fusain sur toile, il a dessiné une tête de poisson dans une boîte, et cette tête énorme nous regarde, comme si l’image de la mort était encore plus vivante, pour Abdelké, que celle de la vie.

 

Alain Jouffroy

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