“Shou ya Ashta” ou le courage des femmes qui ne se taisent pas, comédie noire au théâtre Monnot
03/06/2024|Nora Lebbos
Du 30 mai au 9 juin « Shou ya Ashta » écrite par Wafa’a Halawi et Riad Chirazi, produite par Michele Fenianos et Wafa’a Halawi avec Cynthya Karam, Wafa’a Halawi, Salma Chalabi et Katy Younes éclaire le Liban d’un vent d’émancipation de la parole des victimes de violence basée sur le Genre.
Voilà une pièce de théâtre qui secoue les traditions de silence, de honte et de misogynie. Trois femmes, trois récits, trois vies différentes se confient auprès de leur thérapeute, le Dr. Jouni.
Nour (Wafa’a Halawi) est meurtrie par un traumatisme d’enfance qu’elle a tu. Leila (Salma Chalabi) se débat pour retrouver sa propre identité de femme face au déni de son époux. Mira (Katy Younes) se bat contre le harcèlement quotidien et insidieusement accepté de ses pairs.
L’écoute empathique de la thérapeute, le Dr Jouni (Cynthya Karam), permet à ces femmes de se questionner plus profondément sur leur rapport à elles-mêmes, à leurs corps et à leurs propres désirs.
« Je ne sais pas si c’est à cause de moi, si c’est moi qui me trompe… Je me trompe ? » se questionne Mira face aux agissements manipulateurs de certains hommes du milieu de la scène. Ou encore « (…) Il a dit que personne ne me croirait et que c’était ma faute… » confie Nour, cette femme brisée depuis son enfance car personne ne l’a aidée, le joug silencieux de « la honte » agissant si tyranniquement dans les dynamiques sociétales.
Dans une société sclérosée par la méconnaissance du respect dû aux corps des femmes et des droits des victimes, la femme devient alors un objet qu’on « pèle » comme l’Ashta, ce fruit sucré dont on recrache les pépins comme un détritus qui n’a plus d’intérêt après l’avoir consommé. C’est justement ce que visent les créateurs de cette pièce de théâtre avec cette expression à priori familière et sans conséquence : « Shou ya Ashta ».
Car, à priori, il n’y a aucune conséquence à prononcer des paroles un peu trop hors limites, des gestes mal placés, des regards qui « mangent cru » … Ces récits de femmes montrent combien ces comportements anormaux sont dévastateurs. Ils montrent également l’absence de soutien institutionnel et la situation démunie dans laquelle se trouvent les victimes.
Mais, face aux blocages, il y a la force individuelle. Celle tout d’abord du Dr Jouni, elle-même victime de la loi du silence et qui se bat pour toutes, car elle voulait se battre pour une seule qu’elle n’avait pas su protéger.
La force surtout des victimes qui osent parler et par là-même se libèrent des situations qui les emprisonnent. Il en est ainsi par exemple de Leila, qui regarde la vérité en face et décide courageusement qu’elle sera « une femme pour elle-même ».
« Montre-moi la femme, laisse-la sortir », demande la thérapeute aux trois victimes. C’est en quelque sorte le message qui saupoudre cette œuvre : l’émancipation des femmes avant tout vis-à-vis d’elles-mêmes, du respect qu’elles ont pour elles afin de se libérer de leurs bourreaux et en fin de compte ouvrir les yeux de la société qui leur doit sa protection et son respect.
Cette fusion d’humour et de sujets sensibles est mise en scène dans un décor particulièrement original et bien pensé.
« Shou ya Ashta » peut être considérée comme une comédie noire « de santé publique » sur des questions sensibles qui méritent la liberté de parole aux fins de changements. À saluer.
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