Lisbonne, juin 2025
En ce début de soirée, le soleil habille d’or les façades de la ville et ricoche en étincelles joyeuses sur les pavés du centre historique de Lisbonne.
Au décours d’une ruelle tranquille du Bairro Alto, l’un des quartiers les plus emblématiques et animés de la ville, une sardine rose danse sur une enseigne, au-dessus d’une ardoise avenante qui invite à la gourmandise.
En un an et demi, Tarek Maalouf a réussi le pari de faire de son bistro bar à tapas (petiscos, comme on dit par ici) l’une des meilleures adresses de Lisbonne.
Charismatique et débonnaire, ce gourmet averti nous accueille avec un large sourire à l’entrée de son restaurant. Dans son regard, la douceur du sourire de sa mère Andrée relève avec grâce les traits altiers bien sculptés de son père Amin.
Olga, la chef d’orchestre en salle, nous installe à notre table, où Tarek nous rejoint pour nous guider discrètement dans nos choix.
Les intitulés sont déjà une belle mise en bouche, la carte courte rassurante sur la qualité et la saisonnalité des produits présentés, et en quelques minutes voilà la table recouverte d’une palette de couleurs déclinée comme un mezze libanais, mais en portions portugaises.
Les gnocchis, pétris maison, sont recouverts de serrano de bonne famille, enveloppés d’un pesto étonnant et savoureux, version très personnelle du caldo verde, ce « bouillon vert » qui représente l’une des soupes les plus emblématiques du Portugal, confectionnée avec pomme de terre, ail, oignons, choux verts et chorizo.
Revisitée par Tarek, qui remplace le chorizo traditionnel par du jambon ibérique de grande qualité, la soupe devient avec élégance une sauce dont le velouté tutoie les étoiles.
Toute l’idée du lieu se retrouve en fait dans ce premier plat.
S’appuyant sur la tradition portugaise, Tarek Maalouf rebat les cartes de la cuisine locale en écrivant une partition très personnelle dans laquelle s’entremêlent tradition et créativité, l’Europe, les États-Unis et l’Asie, le Portugal, l’Espagne et l’Italie…
Une véritable fusion food, vous l’aurez compris, et un minutieux travail d’équilibriste.
Entre les murs de cette ancienne boutique de marchand de thé, dont il a su judicieusement garder le cachet authentique et tendre, Tarek évoque son parcours et ses souvenirs liés aux plaisirs de la table…
Il commence par me confier sa passion pour la nourriture, jumelle de celle pour le graphisme,
me raconte comment il s’est amusé à construire le décor du lieu avec des images retravaillées en tableaux. Sur le mur, face à notre table, un cochon rose de plaisir et une lotte bouche bée approuvent en se marrant, côte à côte.
Un véritable fil de mémoire, en somme, tendu entre son métier d’hier et celui d’aujourd’hui !
« Avec Rushdi, mon frère aîné, nous nous étions donné, il y a dix ans, rendez-vous à Lisbonne. Il venait d’avoir son premier enfant et avait pensé s’y installer... Mais au bout de deux ans, il devait décider avec son épouse de mettre le cap sur une autre destination, alors qu’entretemps le charme de cette ville s’était emparé de moi et me poussait à rester… Aujourd’hui, je m’y sens totalement chez moi ! »
Je ne peux que lui donner raison, tant à Lisbonne le passé se conjugue tous les jours au présent et offre, avec son ouverture au monde, un écrin à l’avenir. Les civilisations s’y mélangent et le champ des possibles y est immense.
À la tête d’une société audiovisuelle pendant des années à Paris, il m’avoue « qu’aller découvrir les univers gastronomiques de grands chefs parisiens avait été, avec son associé de l’époque, un de ses plaisirs préférés ». Il est arrivé à la gastronomie par gourmandise et par immersion.
Avec ses frères, depuis leur plus tendre enfance, encouragés par des parents ouverts à toutes les cultures, ils allaient à la rencontre des saveurs du monde.
Arrivé à Paris à l’âge d’un an, c’est à l’école primaire du côté de Bagnolet qu’il s’amusait déjà, se souvient-il, « à explorer les saveurs » en partageant des repas dans les familles de ses copains de classe, pour saisir les nuances et la diversité que peut offrir une table.
« À la maison, ma mère cuisinait la tradition libanaise mais n’hésitait jamais à aller vers d’autres cuisines et à nous les faire goûter. Elle m’a certainement transmis, quelque part, cette curiosité. Du côté de ma famille maternelle, les plaisirs de la table ont toujours eu une place de choix. Du côté paternel, c’est plutôt les arts, la poésie et la musique… »
Nous continuons à dialoguer pendant qu’arrivent à table hamburgers de sardines et arancinis de canard, construits l’un et l’autre avec soin.
Tarek raconte : « Le riz au canard est un plat classique de la cuisine portugaise. J’ai pensé le façonner en arancinis, ces beignets de riz farcis que l’on peut déguster en Italie, plus ludiques au visuel et au goût.
Quant à l’idée du burger de sardines, elle est venue de ce petit pain vendu partout dans Lisbonne lors des fêtes.
En ce moment par exemple, et durant plusieurs jours, nous célébrons Saint-Antoine de Padoue, patron de la ville. Des festivals se tiennent dans tous les parcs, mêlant traditions culinaires et dévotions. Les festivités commencent tôt dans l'après-midi, avec des vendeurs ambulants servant des sardines grillées, accompagnées d’une sauce au basilic ou au piment.
L’idée était de revisiter cette spécialité de façon sympa. J’ai donc confectionné des petits burgers pour rappeler le pain et les ai garnis d’un beignet de sardine… »
Des ravioles lotte-crevettes, baignant dans un bouillon aux saveurs asiatiques, dont il a patiemment élaboré la composition, arrivent à table, faisant pousser des cris d’admiration à l’assemblée.
« J’avais d’abord proposé ce plat sous forme de soupe, mais il n’était pas facile à déguster avec les crevettes à décortiquer… personne n’osait en commander. J’ai donc pensé à confectionner des raviolis garnis du mélange lotte-crevettes avec une pâte vietnamienne très fine.
J’ai ensuite réajusté le bouillon en le parfumant d’huile de sésame torréfié, ramené sa quantité au tiers de la recette initiale, en le garnissant de noix de cajou et là… bingo ! C’est l’une des premières choses que les habitués me réclament aujourd’hui ! »
(Je ne peux qu’approuver entre deux bouchées ! ndlr)
Côté vins, la carte propose une sélection de produits axés sur la vinification naturelle, essentiellement produits du terroir portugais.
Du très, très bon, qui rejoint l’excellence du tout fait maison et des matières premières que l’on devine à la première bouchée.
Tout ici est cohérence et harmonie. Tout vous invite à oublier le temps…
À commencer par le discours de cet autodidacte de génie qu’est Tarek Maalouf. Un discours simple, qui parle vrai, en totale résonance avec ce qu’il vous offre à boire et à manger.
Ses plats préférés ?
Il réfléchit cinq secondes.
« Difficile de choisir, j’aime toutes les cuisines. Dans la levantine, je dirais le kafta aux cerises, qu’il prépare aujourd’hui avec les griottes du Portugal, en évitant l’excès d’épices pour mettre l’accent sur l’acidulé de la sauce. »
Et côté desserts ? Juste une crème brûlée qu’il réalise avec le dulce de leche, confiture de lait à peine sucrée, présente sur sa carte et tout simplement divine !
Autour de nous, la salle est déjà pleine…
Âges, nationalités et langages se rejoignent en sourires sur tous les visages. Une clameur composée de babils d’enfants et de soupirs de satisfaction monte en hums hums bien rythmés, faisant totalement écho à notre propre opinion.
En véritable gentleman, il nous raccompagne jusqu’à la voiture en accolades et éclats de rire.
Nous reprenons la route, papilles et cœur ravis, avec une seule envie : revenir !
SARDINHA ROSA BISTRO
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