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Royaumes menacés : Michel Zoghzoghi, l’œil du vivant en sursis

Art

21/09/2025|Léa Samara

Photographe et homme d’affaires, Michel Zoghzoghi incarne une trajectoire singulière : depuis vingt ans, il parcourt la planète pour capturer la beauté fragile des animaux sauvages, sans jamais quitter son activité d’entrepreneur à Beyrouth. Son œuvre, oscillant entre esthétique du sublime et activisme écologique, s’expose au Molière à Paris du 31 octobre au 8 novembre 2025 dans A Journey Through Threatened Kingdoms. Une exposition où l’art rencontre l’engagement ; l’intégralité des ventes sera reversée pour les bourses scolaires du Collège Notre-Dame de Jamhour.


Entre l’entreprise et la savane : une double vie assumée

Contrairement à l’idée d’une reconversion radicale, Michel Zoghzoghi n’a jamais quitté le monde des affaires. À la tête d’une société d’équipements médicaux, il a mené de front deux carrières. La photographie est entrée dans sa vie par hasard : “À l’aéroport, j’ai acheté un appareil photo. Dès ce jour, j’ai décidé de garder les deux.” Depuis, quatre à cinq voyages par an l’ont mené de l’Afrique à l’Amazonie, en passant par l’Inde et l’Arctique. Cette coexistence entre les mondes économique et animalier est devenue une école d’équilibre. La patience et le sens des priorités appris sur le terrain l’ont rendu plus performant dans ses affaires : “Beaucoup de choses dans le monde animal s’appliquent à la vie”.


L’animal comme altérité silencieuse

Loin du mythe d’un face-à-face complice, Michel Zoghzoghi rappelle qu’il n’existe dans ses productions “aucun rapport de confiance entre l’homme et l’animal” ; tout repose sur l’indifférence de l’animal. Si la bête modifie son attitude, l’image perd sa vérité : “il faut qu’il considère que tu n’es pas important pour lui.” Ce refus de l’interaction s’accompagne d’un principe éthique ferme : mettre en danger l’animal pour prendre une photo est inacceptable. En effet, ce dernier peut être dérangé par cette présence qui affecte immédiatement son comportement naturel. C’est un des coûts de l’écotourisme. L’animal est ici appréhendé comme sujet et non comme proie visuelle. Photographe et guides travaillent en retrait, dans le calme, afin que la présence humaine s’efface. L’acte photographique devient ainsi un exercice de disparition, où l’humilité du photographe se met au service de l’intégrité du vivant.


Documenter le sublime : une esthétique de la lumière

Ses images frappent par leur intensité dramatique. Près de 20 % de ses clichés sont en noir et blanc, composés comme des tableaux, où le clair-obscur façonne la majesté des corps. “Je documente le sublime”, dit-il. Pas de mise en scène artificielle, mais un art de la lumière : se lever à 5 heures du matin, attendre le crépuscule, choisir le moment où la nature révèle sa vérité pour la montrer “sous un jour qui lui fait justice.” Son ambition n’est pas de représenter la dévastation, mais de réveiller la conscience par la splendeur. La postproduction est minimale, presque inexistante. Tout se joue sur place, dans l’instant fragile où l’éphémère devient éternité.


Pour le photographe, l’art est inséparable de l’activisme. Photographier les animaux, c’est aussi rappeler qu’ils appartiennent à des “royaumes” distincts, menacés par la voracité humaine. Son travail ne se limite pas aux expositions : il multiplie conférences et rencontres, notamment auprès des jeunes générations, pour faire dialoguer création et préservation. Ce rôle de témoin engagé rejoint une lignée d’artistes comme Nick Brandt, qui ont fait de la photographie animalière un manifeste écologique. Mais là où Brandt insiste sur la disparition, Michel Zoghzoghi sublime l’existant : “beaux, forts, innocents”, dit-il de ses félins, pour qui il nourrit une fascination sans relâche.


Le projet, amorcé en 2011 avec Prey, poursuit une ligne directrice immuable : exposer les animaux de la façon la plus belle possible. L’expression “royaumes menacés” renvoie à une dignité autonome, dérivée de la notion d’”other nations” qu’il affectionne ; l’animal n’est pas inférieur, ni supérieur, mais différent, souverain dans son monde. Depuis 2022, de nouvelles expéditions — Brésil, Inde, Amazonie, Kenya, Arctique, péninsule ibérique — ont enrichi son corpus. Les félins, en particulier, structurent son imaginaire : tigres, jaguars, lynx ibériques. “Les prédateurs m’amènent dans les lieux”, confie-t-il. Mais derrière chaque image, il y a aussi les guides locaux, première ligne de défense des espèces, avec lesquels il travaille dans un rapport de confiance mutuelle.

Cette exposition n’est pas une rupture, mais la continuation d’un engagement sur le long terme. L’objectif est clair : bouleverser le spectateur. “La beauté qu’on est en train de perdre”, voilà ce qu’il espère faire ressentir. Les images deviennent un appel à contempler pour mieux protéger. Le photographe devient alors passeur, en révélant la fragilité de royaumes invisibles, il invite le spectateur à interroger son rapport au vivant. C’est dans cette tension entre émerveillement et urgence que s’inscrit son œuvre, où l’esthétique se fait arme, et l’art, mémoire.


Pour en savoir plus sur l'expo à Paris, cliquez içi



 

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