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Rencontre avec Me Ziyad Baroud : « Paix et justice : Une mémoire pour l’avenir ? »

30/04/2025|Lila Kasparian

Vendredi 25 avril 2025, Cathédrale St Grégoire l’Illuminateur et St Elie des Arméniens Catholiques à Beyrouth

 

« L’exercice de mémoire est un processus salutaire de guérison, un acte courageux qui permet à la fois aveu, pardon et réconciliation. Quelle entreprise hasardeuse ! » (Ziyad Baroud).


C’est autour des enjeux de cette « entreprise hasardeuse » pour le Liban que Maître Ziyad Baroud a échangé avec la centaine d’invités de la paroisse de la Cathédrale St Grégoire et St Elie à Beyrouth, le vendredi 25 avril. La question centrale présentée et débattue dans cette rencontre participative, a couvert le lien entre le devoir de mémoire et la paix, avec la justice comme instance capable d’assurer ce pont menant à un avenir porteur d’espoir pour le Liban.

Le sujet s’inscrit dans le cadre de la devise patriarcale du Cardinal Agagianian « Paix et Justice » qu’il a concrétisée tout au long de son parcours, et qui lui a presque valu d’être élu Pape à deux reprises lors des conclaves de 1958 et 1963.

Au moment du souvenir du 110ème anniversaire du génocide des arméniens ainsi que du 50ème anniversaire du début de la guerre civile au Liban, Ziad Baroud a rendu hommage au million et demi de victimes arméniennes de 1915 et leur descendant qui portent « jusqu’à ce jour les stigmates d’un négationnisme aveugle ». Il a par ailleurs exprimé sa solidarité et son respect aux familles affectées par cette tragédie, et aux libanais arméniens réunis dans la Cathédrale, symbolisant elle-même l’histoire et la lutte pour la justice d’un peuple fier et déterminé. « Se souvenir, c’est s’engager inlassablement, contre la haine, la violence, le silence et l’oubli » (Ziyad Baroud).

Dès le début de son intervention, Ziyad Baroud pose la question par deux fois au public : « Comment tourner la page sans l’avoir lue ? ». Reconnaître avec courage et humilité les erreurs et injustices commises par le passé constituent le seul chemin vers une paix durable. Dans ce cadre, l'exercice de la mémoire ne se limite plus à un simple retour en arrière : il est orienté vers l'avenir, incitant à la vigilance et permettant d’éviter de perpétuer les erreurs du passé, ou de sombrer dans la même spirale des conflits sans issue. En reconnaissant leurs erreurs, les « oppresseurs » ou « bourreaux » offrent aux « opprimés » ou « victimes », un moyen de dépasser leur deuil, leur douleur ou leur perte. D’après Maître Baroud, « la réparation pour ces victimes est pure, elle transcende le châtiment ». Il s’agit en priorité du besoin de recevoir une compensation morale et d’une reconnaissance de la vérité autour d’un évènement traumatisant ayant touché la vie des victimes, de leur proches et de leur descendance.

Face à une résistance au Liban par rapport aux souvenirs de la guerre de 1975, le travail de mémoire devient par conséquent un chemin obligé vers la réconciliation et une paix plus durable. Sur le plan de la psychologie individuelle, Ziyad Baroud cite la psychologue Myrna Gannagé et le psychanalyste François Villa qui respectivement s’interrogent et répondent : « Peut-on parler de résistance aux souvenirs ? Y-a-t-il des effacements nécessaires à la survie post-traumatique ? » (M. Gannagé). « La mémoire n’est pas un but, mais un chemin ». (F. Villa)


Cependant, le cas du Liban que Ziyad Baroud perçoit en matière de devoir de mémoire et de justice, se heurte à deux obstacles de taille qui empêchent la formulation d’une mémoire collective unifiée : d’une part, l’impunité accordée aux « oppresseurs » par la loi sur l’amnistie de 1991, entravant le droit des victimes à connaître la vérité quant aux préjudices subis, et empêchant une prise de responsabilité des « bourreaux » face à des crimes commis. D’autre part, le risque de formation de différentes mémoires individuelles à travers les histoires de guerre racontées en famille. Celles-ci peuvent véhiculer des idées reçues comme l’héroïsme de guerre marquant les jeunes générations qui pourraient sombrer dans la tentation de reprendre les armes.


Les thèmes et questions soulevés par l’audience ont touché un spectre de sujets d’actualité et tournés vers l’avenir du Liban : le besoin de vérité des victimes du port de Beyrouth, le sort des disparus lors de la guerre civile libanaise, le rôle des autorités religieuses pour l’unité et la paix, l’éducation au sein des écoles et la responsabilité des parents quant à la transmission d’une mémoire complète, objective et porteuse de message de paix.

Ziyad Baroud a insisté sur le rôle nécessaire des commissions de vérité et de réconciliation, démarche que le Liban n’a pas encore entreprise. Par ailleurs, il mentionne le rôle clé de l’éducation dans les écoles et les universités en termes d’apprentissage d’une mémoire objective, mais mentionne l’incapacité des instances académiques de mettre à jour le programme d’histoire du Liban à partir de 1975, preuve que le travail de mémoire n’a pas encore été accompli au niveau politique.

Il estime que les autorités religieuses au niveau global ont déjà entrepris des efforts pour l’unité entre les principales religions et véhiculent de forts messages de paix comme le « Document sur la Fraternité Humaine pour la Paix Mondiale et la Coexistence » en 2019. Cependant, le problème réside au niveau d’un fanatisme galopant où la religion est utilisée à des fins de conflits. Ziyad Baroud confie à l’audience qu’il a vu le monde changer de repères principalement durant les cinq dernières années, et qu’il est essentiel de redoubler d’efforts afin de protéger de cette menace nos valeurs et idéaux, ainsi que le citoyen libanais « lambda ».


Quelques jeunes invités quant à eux, sont intervenus en particulier sur le sujet des départs des cerveaux du Liban, qui s’est accéléré depuis la crise, et des potentielles solutions envisagées afin que les jeunes libanais s’approprient cette mémoire collective. Ziyad Baroud a fait sourire l’audience en admettant qu’il trouvait normal que les jeunes du Liban « quittent un peu le pays ». Le « un peu » laissant entrevoir une note d’espoir pour un retour potentiel ; il explique que les jeunes qui sont partis reviendront au pays après avoir fait leurs études et acquis une expérience professionnelle, en vue des avantages de taille que sont les valeurs familiales et la solidarité au sein de la société libanaise. A condition cependant, que le Liban puisse leur offrir un minimum décent de stabilité, de valeurs et une logistique pratique à la hauteur de leurs attentes. Par ailleurs, Ziyad Baroud estime que les jeunes d’aujourd’hui souhaitent bien s’informer sur le passé de leur pays et le comprendre. Il répond que l’information est accessible par tous sur la toile, mais alerte sur le risque non négligeable d’une désinformation. Ziyad Baroud encourage par conséquent les jeunes à rechercher la critique et l’objectivité dans tout travail de mémoire.

Ziyad Baroud a effectué une transition positive sur la mémoire et l’avenir dans le cas du Liban en citant le philosophe Paul Ricoeur : « La mémoire est la gardienne du passé, mais aussi le ferment du futur », pour éviter que la paix ne soit « un simple silence entre deux conflits ». Il a insisté sur la nécessité de réformer le système, de clôturer des dossiers comme celui des disparitions forcées, le livre d’histoire du Liban, et les procès succédant à la loi d’amnistie de 1991. Ziyad Baroud a mentionné par ailleurs les efforts et réalisations de la société civile libanaise multiculturelle et multiconfessionnelle dans ce domaine, et sa contribution prometteuse dans la réalisation « d’une paix durable et justice transitionnelle ».


Il a remémoré la grandeur de quelques pères fondateurs du Liban, comme Youssef Bek Karam, les frères Rahbani et Feyrouz, le Patriarche Hoayek, l’Imam Moussa el Sadr, Abdel Kader al Jazairi… en déclarant que « Toute mémoire n’est pas dans le sang, parfois elle dit l’encens et le miel ».

Enfin, Ziyad Baroud a conclu son intervention par une image porteuse d’espoir : « Demain, quand le Cardinal Grégoire Pierre Agagianian recevra les nobles insignes bien méritées de la béatification, sa devise patriarcale « Paix et Justice » sera gravée à jamais dans notre mémoire collective, sous le signe d’un parcours qui a frôlé la Papauté dans le Conclave sans l’atteindre, mais dont la fumée blanche répandra sans cesse la bonne nouvelle… »

 

Par Lila Kasparian, membre du Conseil Paroissial de la Cathédrale St Grégoire et St Elie

 

 

Pour plus d'infos

Cette rencontre s’inscrit dans la série d’évènements culturels sous le sceau « Paix et Justice » que la Cathédrale St Grégoire l’Illuminateur et St Elie des Arméniens Catholiques organise pour le public. Les évènements passés ont été : le concert de Tania Kassis le 24 mars, la rencontre avec SEM Ziyad Baroud le 25 avril, et le concert de l’orchestre philarmonique libanais le 26 avril. Le prochain évènement prévu est une conférence par SEM Ghassan Salamé le 18 juin à 18h, toujours autour du thème « Paix et Justice ». (Facebook: St Elie - St Gregory Armenian Catholic Cathedral)



 

 

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