Une gare. Deux bancs froids. La lumière blafarde d’une gare. Un homme et une femme attendent un train qu’ils ne prendront jamais. De cette immobilité naît une rencontre, celle du regard et de la parole.
Radio Transistor, présentée au Théâtre Monnot jusqu'au 2 Novembre 2025, déroule une conversation cocasse entre deux êtres que tout oppose, et explore ce moment fragile où la légèreté d’une rencontre glisse vers l’inattendu. Adon Khoury et Yara Zakhour, auteurs, metteurs en scène, interprètes de la pièce, et partenaires dans la vie comme sur scène, prolongent leur dialogue dans la création. Leur complicité fait naître une émotion presque palpable.
Leur dialogue est un duel d’approches du monde. Lui est “rechercheur” — c’est ainsi qu’il se présente. Cartésien jusqu’à l’absurde, il lui corrige les mots, démonte leur étymologie, s’amuse de leur mécanique. Elle, libre, réplique avec des traits d’humour et d’intuition. Et puis elle prononce cette phrase : « Dans ma peinture, il n’y a pas un et un font deux. Il y a deux… qui se sont rencontrés. » Tout est là : sa science à lui, sa poésie à elle, et entre eux, ce battement fragile qu’aucune équation ne peut résoudre. Les blagues fusent, les jeux de mots s’enchaînent, quelques silences aussi, jusqu’à ce que l’humour s’épuise. Entre eux, leur part d’incompréhensible ne finit plus de les éloigner et de les rapprocher, comme un poste de radio mal réglé sur la fréquence du cœur. Radio Transistor n’est pas seulement une rencontre : c’est la collision de deux façons de survivre, par la raison, ou par l’art.
Puis la salle s’assombrit, et le public transite avec elle dans une autre mémoire, plus intime, plus fissurée. La lumière, dessinée par Hagop Derghougassian, sculpte les zones d’ombre comme des souvenirs. Dans un silence bref, à mi-éclairé, la voix de Yara Zakhour se brise pour évoquer la guerre, et soudain, la fiction rejoint le réel.
Une révélation inattendue surgit à la fin, une révélation qui fait vaciller la perception de ce que l’on voyait jusque-là et de ce qu’on croyait comprendre. On n’en dira rien, sinon qu’elle éclaire rétrospectivement chaque mot, chaque silence, et laisse le spectateur face à une émotion inattendue : celle d’avoir cherché en vain une certaine fragilité là où il n’y en avait peut-être pas.
Sur le quai de cette gare immobile, nos deux protagonistes se seront frôlés, interrogés, attendus et nous auront laissé, nous aussi, dans cet entre-deux où la pensée hésite à redevenir sentiment.