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Phil&Joe : d’une coupe à l’autre

MAG

23/05/2025|Briac Saint Loubert Bié

À l’ABC d’Achrafieh, le barbier Phil&Joe s’est dupliqué, et son clone, situé à l’entrée principale au deuxième étage, lance un nouveau concept, un bar-café offrant une carte de champagnes et de cafés. Présent à l’inauguration 12 mai dernier, l’Agenda Culturel a voulu en savoir plus et s’est entretenu avec Philippe Skaff, son cofondateur avec Joseph Aoun.

 

« Ça s’est fait autour d’une partie de poker. J’ai dit à Joe : écoute, il n’y a pas de bon barbier à Beyrouth, j’ai repéré de beaux locaux à Achrafieh que j’ai loués. Est-ce que tu me suis ? » Joseph a beau faire remarquer à Philippe que ni lui ni son ami n’y connaissent quoi que ce soit en coiffure, Phil s’obstine et Joe le suis. Nous sommes en 2013, jusqu’alors les deux amis se contentaient de poker et d’arak maison, et les voilà en route pour Rome s’instruire auprès des experts de la coupe masculine. Depuis, Phil&Joe c’est une marque, une référence, et quatre salons à Beyrouth dans un style rétro, cuir, cigare et élégance new-yorkaise des années 1970.

 

Un mélange de café, de liveshows et d’humanisme

C’est par l'intermédiaire d’une cousine que Joseph Aoun rencontre Philippe Skaff au début des années 2000. À cette époque, Joseph revient tout juste au Liban, il vient de vendre à prix d’or un monopole sur la production de café en Europe de l’est qu’il avait bâti à la chute du Mur de Berlin.

Philippe, son truc à lui, c’est la communication visuelle, « un truc tout nouveau en 1979 », quand il est diplômé au Québec. Bringuebalé entre le Canada et Hong Kong pendant une dizaine d’années, il finit par créer sa première entreprise à Chypre, proche du Liban déchiré par la guerre civile. Entreprise qu’il revend en 2011, concurrencée par les réseaux sociaux « qui rendent tout le monde créatif, il n’y a plus de gourous ». De toute façon, Philippe est déjà passé à autre chose. C’est des spectacles vivants qu’il crée désormais. Aux rênes de sa nouvelle compagnie Multiple International Group, il sillonne le Levant dans une perspective orientaliste, des scénarios sur les Mille et une nuits ou la naissance de l’Islam en poche, et une résolution humaniste en tête.

Un humanisme provocateur, satirique, aux accents anarchistes, qu’il déploie déjà dans des chroniques, des pamphlets et quelques ouvrages, dénonçant « la politique qui corrompt l’homme » autant que « l’homme qui corrompt la religion ». Comme son pays tout entier, Philippe n’échappe pas à la politique, rappelant que de toute manière si vous ne vous intéressez pas à la politique, c’est elle qui s’intéressera à vous. Aux yeux du businessman, « le Liban, c’est une idée », l’idée d’un refuge multiconfessionnel, où le vivre-ensemble n’est pas seulement un fantasme, mais un projet réalisable. « Il y a quelque chose qui m'attache à ce pays que je ne parviens pas à discerner. Quand on y est, on veut partir, mais une fois qu’on part on ne pense qu’à revenir. »

 

« On ne sait pas si l’on est à Paris, Milan ou New-York »

Et c’est peut-être pour mieux revenir que Philippe et Joseph, lassés de barbes et de cheveux, ont ouvert leur bar-café il y a tout juste 10 jours. Désormais, chez Phil&Joe, on ne se contente plus seulement de vous tailler la moustache et assouplir vos mèches, mais on vous propose aussi du champagne au verre et du café en tasse, torréfié par les soins de Joseph. L’idée leur est venue il y a un an, attablés probablement autour d’une énième partie de poker sur une terrasse d’Achrafieh. « J'ai dit à Joe : écoute, il temps que tu retournes à ton café, et moi il temps que j’aie un endroit pour boire du champagne le soir », raconte Philippe en riant.

La concurrence s’annonce d’emblée rude, la vie nocturne étant déjà bien fournie à Beyrouth, et la capitale ne manque pas de bars ou de restaurants, loin s’en faut. Mais Phil&Joe, c’est déjà une marque, un gage de qualité et un standard d’élégance qui parle au client. Standard qui s’incarne dans un aménagement soigné et minutieux, où les miroirs damascain se fondent dans un ensemble art-déco victorien, au milieu duquel trône un bar des années 1920, merveille d'ébénisterie que les deux amis ont dénichée au fond d’un troquet de Saint-Ouen. 30 chaises en terrasse à l’ombre d’épaisses gerbes de fleurs, autant à l’intérieur au ton vert bouteille se détachant sur un fond noir marbré, un décor à mi-chemin entre Hercule Poirot et Peaky Blinders signé… Philippe Skaff !

Mais le réel atout de ce Phil&Joe version restaurateur, c’est le champagne. Un atout qui est aussi une prise de risque, dans un pays où sa consommation est encore peu répandue. « Les Libanais ne sont pas habitués à boire du champagne, nous on va les habituer. » Pour cela, ce sont les bulles de cinq petits producteurs qui vous sont servies au verre. Philippe et Joseph ont voulu ainsi rendre plus abordable la consommation d’un produit souvent peu accessible.

 

Le bar-café de Phil&Joe, c’est d’abord une expérience visuelle et gustative, un lieu de rencontres et de retrouvailles, où l’on s’attable pour des heures de discussion autour d’une tasse ou d’une flûte. Pour Philippe Skaff et Joseph Aoun, c’est peut-être aussi le lieu du repos, alors que s’annonce tranquillement la soixantaine, même si aucun des deux ne pense sérieusement à la retraite, concept que Philippe juge incompatible avec un Libanais. « Les Libanais, ce sont des chasseurs et le Liban c’est le club de chasse : ils rentrent ici se reposer, puis repartent de nouveau aux quatre coins du monde sur une nouvelle piste. » L’interview se termine à peine, et déjà Philippe rejoint un groupe de ces « chasseurs » en plein conciliabule, échafaudant un plan pour leur prochaine traque.



 


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