Les départs et les arrivées m’inspirent. En quittant ce petit pays que j’emporte toujours dans mon cœur, j’ai toujours envie de le mettre en mots comme pour lui donner la meilleure partie de moi-même.
J’aime ces départs quand le jour se pointe derrière les montagnes qui courent le long de la route vers l’aéroport. J’aime ces lumières qui scintillent encore ici et là, sachant qu’elles vont bientôt être éclipsées par celui qui me donne rendez-vous au balcon, chaque matin de retrouvailles avec la mer et le ciel bleu. J’aime le chauffeur qui soudain respecte les consignes routières, arrête au feu rouge à 5h du matin alors que les affairés, les empressés et les m’enfoutistes du règlement et des autres sont encore devant leur rakwé à étirer la nuit avant de se jeter dans l’arène du jour.
J’aime ces passagères en baskets qui, comme moi ont le cœur gros de quitter leur mère, leur fille, leur sœur, leur voisine, tendres compagnes, à l’écoute bienvenue et soutenue.
J’aime ma concierge qui m’envie alors que je me plains de mes voyages fréquents et qui, elle, n’a plus revu sa mère depuis 12 ans et ne peut même pas lui parler à l’écran, de peur de la voir s’effondrer en pleurs.
J’aime la femme de ménage qui passe d’un étage à l’autre sans jamais rien raconter à propos de celui-ci ou de celle-là. J’aime sa discrétion dans le dénuement, sa résilience toujours et encore inachevée.
J’aime dans ce pays toutes les femmes qui bougent et respirent. Qui gigotent dans tous les sens à courir derrière le sou, le plus, le minimum ou le maximum. Je les aime quand elles sortent, s’amusent, dépensent sans compter sachant que quoiqu’elles fassent, elles n’iront pas loin au décompte de leurs billets qui s’envolent. J’aime la désinvolture qu’elles se sont forcées à bâtir face aux catastrophes. J’aime leur foi inébranlable à l’église, celles qui se signent 10,15 fois comme pour implorer plus intensément encore une grâce qui tarde à venir. Dans cette parenthèse de leur quotidien, là où elles déposent leur vie pour la laisser aller toute seule durant quelques minutes, monter très haut, vers le Très Haut… qu’elles oublient aussitôt, happées par la vie qui les dépasse…
Ici entre le royaume des cieux dedans et l’enfer sur terre dehors, j’aime la préposée qui allume les cierges, pourvoie aux chaises, rafraîchit les fleurs, balaie l’église et son parvis et tend un panier en souriant à la sortie de la messe. Elle ne représente rien. Ni clergé, ni donateurs, même pas ces fidèles, fidèles encore à leur accoutrement respectueux du jour du Seigneur. Elle n’est que « le » diacre… Elle n’est peut-être pas grand-chose, mais elle représente tout pour moi.
Elle est le cœur battant de cette communauté, comme toutes celles qui n’ont pas de fonction ou de profession précise, mais qui sont juste là pour garder le lien. Ce lien indéfectible entre les gens. Ce lien qui fait qu’on revient encore et encore. Qu’on essuie malgré soi une larme quand l’avion décolle. Qu’on jette un dernier regard sur ce sable brûlant et ce peuple ardent, en jurant qu’on reviendra, en priant qu’on puisse y revenir, en implorant les dieux de veiller sur ce petit monde de l’invisible qui grouille, rit et pleure si souvent.
Alors que le grand oiseau blanc monte vers les nuages et que mon petit pays devient de plus en plus petit, une grande lassitude soudain me prend, comme à chaque fois, avec cette question insoluble qui revient depuis de si longues années : Pourquoi ?
À toutes celles qui restent, mères biologiques et mères de cœur, merci d’être là, de conserver ce lien, notre seule planche de salut à nous : celles qui partent et celles qui vivent « là-bas ».
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