Durant les premières années de la guerre, alors que Beyrouth tremblait sous les bombes et que le quotidien nous ballotait entre drames et silences inquiétants, la voix de Ziad Rahbani est entrée dans ma vie. J’étais encore enfant, assise près du poste radio, guettant les flashs d’informations pour mesurer la gravité des bombardements pour planifier une éventuelle fuite, toujours un peu plus loin.
Et puis, entre deux flashs, deux fuites, il y avait souvent sa musique, ses mots, sa voix différente, libre, tendre et lucide à la fois. Une voix apaisante dans l’atmosphère lourde des abris de fortune ou dans cet ailleurs devenu refuge le temps d’une accalmie.
Les chansons de Ziad Rahbani, je les ai reçues comme un refuge, miroir de notre réalité. Elles racontaient les faits avec simplicité, les vents changeants, la patrie évanescente, mais aussi le charme inouï, injustifiable, d’un quotidien que personne d’autre que nous ne pouvait saisir.
Il posait sur notre réalité un regard juste, ironique, dénonçait si bien la non-viabilité de notre pays tel qu’il se présentait, que même enfant, je comprenais que quelque chose d’irréversible se jouait.
Ce n’était pas seulement des mots mis en musique : c’était notre imaginaire qui prenait vie, une manière d’aborder la situation du pays avec humour et cynisme, pour mieux le dénoncer et pouvoir survivre.
Ziad Rahbani et sa poésie, comme une évidence, a donc accompagné mes premiers souvenirs de guerre. Il m’a appris, sans le savoir l’importance de la poésie, cette forme de résistance pour conjurer le sort, ce souffle philosophique essentiel à la survie lorsque la peur prend trop de place.
Aujourd’hui encore, en réécoutant ses chansons, c’est toute une époque qui me revient. Celle où l’enfance foutait l’camp au son du bruit des bottes, une voix sécurisante dans le tumulte qui déconstruit l’angoisse et dédramatise la peur.
Merci Ziad Rahbani pour tout cet héritage haut perché dans ma conscience, merci de m’avoir consolé toutes les fois où l’absurde s’installait dans un coin de la pièce et me lançait des regards en coin. Merci.
* Photo tirée de la revue "Nous du Collège" - Jamhour - promotion 1974