C’est en 2008, sur une colline verdoyante, à proximité des villages de Baakline et de Deir Dourit, que je tombai sur le jardin que je cherchais pour y construire une maison de montagne.
Ce lopin de terre, suspendu entre le ciel et la terre, se dévoila à mes yeux comme un nid d’aigle d’où l’on pouvait admirer villages, monts et vallées, et en fond de toile l’étendue de la mer rejoignant l’azur.
Juste à proximité du site, se dressaient deux monts recouverts d’une forêt de pins sauvages, de chênes et d’oliviers, déployant mille secrets mêlés à mille nuances de vert .
Un lieu rescapé de la civilisation où les éperviers sillonnaient encore le ciel, les écureuils gambadaient dans les arbres et les sangliers se cachaient dans les grottes.
Les oiseaux y babillaient à longueur de journée, les chacals s'y lamentaient au crépuscule, et la nuit venue, les chouettes y hululaient.
La première fois que j’y mis les pieds, je fus accueilli par un cheikh druze aux yeux bleus et la moustache fièrement garnie, qui m’expliqua que la Propriété n’appartenait qu’à Dieu et que nous n’y étions que des passagers. Mais il accepta de bon gré de me montrer les limites de son terrain.
Durant cette première visite, il me guida à travers son royaume avec humilité et fierté.
Il y avait érigé des terrasses en pierre sur lesquelles il avait soigneusement planté ses arbres.
Nous marchâmes d’abord dans une large allée bordée, d’un côté par cinq jeunes noyers, et de l’autre, par six pins parasols hauts comme des bonhommes.
Il y avait aussi des oliviers judicieusement espacés sur l’herbe, quelques-uns jeunes, d’autres centenaires.
Nous parcourûmes ensuite l’allée des arbres fruitiers. Plantés en petit nombre, mais tout y était, poiriers, pêchers, pommiers, abricotiers, amandiers, mûriers, myrtillers et même des groseilliers. Tous les beaux fruits de la terre. Pendant qu’il expliquait, je savourais un bol de fruits dans mon imagination, sur la terrasse qui regardait la mer.
Je compris vite que ces arbres étaient ses enfants. Car cheikh Hatem, n’avait pas eu la chance d’avoir de progéniture, et c’est la raison pour laquelle il consentait à vendre son terrain.
Le paysage était immense. Aucune laideur. Aucun bruit agaçant.
Et c’est à travers ce coup de foudre que j’acquis ce petit paradis aux fins fonds du monde. Très vite j’y construisis une petite maison en pierre, puis une deuxième, puis une troisième, en projetant mes 3 enfants et leurs bambins dans ce jardin aux mille saveurs...
Durant la construction, mon père, âgé de 91 ans, assisté de deux cheikhs druzes, planta un jeune pin tout près de la maison.
En contrebas du jardin, nous plantâmes également plusieurs dizaines de plants de pins parasols, dont les troncs n’étaient que des fines tiges.
Et nous ajoutâmes au jardin une “zamzarika”, arbre de Judée, et deux “zinzalakht, des lilas de Perse.
Et pour couronner le tout, nous fîmes provenir du Barouk un jeune cèdre de 5 mètres que nous plantâmes à un point élevé du jardin, où il surplomberait la propriété, là où tout le monde pourrait l’admirer lorsqu’il deviendrait grand et majestueux.
C’était il y a 17 ans ...
... Et les années ont passé … aussi vite qu'un rêve.
Lorsque je me réveille aujourd’hui dans cette maison à l’heure de la rosée, les seuls propos que j’entends, sont ceux des oiseaux, interrompus par le chant du coq, et je vois des bans d’oiseaux visitant la pelouse. Et des écureuils qui dévalisent les arbres fruitiers.
J’enfile mes chaussures et je sors me promener dans le jardin en commençant par l’allée des noyers et des pins.
Celle de la première visite, avec cheikh Hatem.
Les noyers sont devenus géants. Ils ombragent toute l’allée.
Les pins ont atteint dix mètres. Je pose ma main sur leurs écorces et lève la tête vers le ciel pour vérifier combien ils ont encore grimpé.
Leur croissance est comme une horloge naturelle qui m’indique le temps qui passe... Je fais des calculs d’épicier en marchant ;
« huit mètres en dix-sept ans, c’est un demi-mètre par an, si j’atteins les cent ans, ils auront à peu près vingt-cinq mètres. Et leurs racines effondreront le mur de la terrasse ! »
L’arrivée devant le pin de mon père me tire de mon absurde rêverie ; il est devenu aussi haut que la maison.
Les pousses en contrebas du jardin sont à présent de grands pins parasols qui bloquent la vue. Mais on commence à entrevoir parmi leurs branches des bribes de paysage.
Il faudra donc les élaguer...
La “zamzarika” au printemps, durant 3 semaines, explose en fleurs fuschia. Et les “zinzalakht” devant l’entrée hébergent dans leur touffus feuillages des multitudes de petits merles, qui s’envolent avec un frou-frou sonore, au moindre signal de danger.
Le cèdre a dépassé les 12 mètres.
Il se dresse maintenant majestueusement au-dessus du jardin. Ses branches sont encore désordonnées, car il lui faut paraît-il cent ans d'âge avant de commencer à déployer ses branches à l’horizontale, comme les cèdres qu'on admire sur les cartes postales.
Les arbres sont rassurants, car ils ne changent jamais de place. Ils poussent. Imperturbablement.
Ils vivent leur vie à l’écart de tous les tourments.
Ils n’ont pas l’ambition horripilante des hommes qui veulent toujours partir et faire mille choses de leur vie.
Sans jamais être totalement satisfaits...
Eux sont impassibles aux évènements extérieurs. Ils continuent à grimper, devenant toujours plus robustes, toujours plus solides. Toujours plus sages.
Ils se foutent de la technologie, de tous les gadgets et les innombrables informations qui déroutent l’Homme au lieu de l’éclairer.
Le tourmenté en moi est toujours fasciné par les arbres.
Toujours paisibles et égaux à eux-mêmes.
Surtout après les avoir vus se développer et grandir.
Ils sont heureux car ils poussent paisiblement, ils verdoient et portent des fruits. En parfaite symbiose avec les saisons, ils ne font que du bien autour d’eux produisant de l’oxygène, nourrissant les écureuils et faisant de l’ombre pour rafraîchir le passant sous leur feuillage.
Si les hommes suivaient l’exemple des arbres, la terre serait le paradis.