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Lecture 80 : Je souffre donc je suis, Pascal Bruckner

02/05/2024|Gisèle Kayata Eid

Je souffre donc je suis, Pascal Bruckner, Grasset, mars 2024

Un titre alléchant, 320 pages qui traite de « notre grande passion démocratique … la permission accordée à tous de se lamenter sur leur sort… » L’approche courageuse sur un sujet inédit nous promet un livre passionnant : « À l’échelle mondiale se déroule une concurrence des détresses qui doivent hurler plus fort les unes que les autres. À la fraternité des déchus répond la cacophonie des plaignants qui valorisent la figure du martyr et alimentent ces deux grandes passions que sont la vengeance et le ressentiment. »

 

On aborde la première des trois parties avec un retour sur « le message des Lumières et de la Révolution, celui d’un monde meilleur débarrassé du fatalisme et du fanatisme » qui a pourtant « abouti à une société du sanglot et de la fragilité, c’est-à-dire de la démission… La souffrance est devenue paradoxalement, dans l’Occident hédoniste, un nouveau sacré qui méduse. Jadis, elle était le lot commun à la condition humaine ; elle est désormais un passeport que l’on exhibe pour impressionner ses contemporains. Elle vous… transforme en être d’exception qui peut se faire valoir à peu de frais sur la scène publique. Tel est le message de notre époque : vous êtes tous des déshérités en droit de pleurer sur vous-mêmes...Les seules contraintes que nous aimons sont celles que nous nous imposons en vue d’un but supérieur, comme un défi lancé à notre finitude…L’individu démocratique ne tolère plus la frustration ni la patience, assimilées à un affront. La culture de la facilité triomphe, favorisée par ces nouveaux métiers du Net, blogueuses, youtubeurs, instagrammeurs, influenceuses qui ne demandent d’autre compétence qu’un physique avenant, un sens du bagout et un talent d’apparition. Cet argent facile dévalorise le labeur ardu. »

 

Des propos qui sonnent juste. Une analyse aussi judicieuse que méticuleuse qui semble être  très intéressante. « Au XVII siècle, dans la morale classique, il fallait triompher de ses passions. Désormais il est recommandé de compatir à soi-même, de « s’écouter ». Aujourd’hui, nous sommes tous des ombrageux qui fulminons au moindre choc, à la moindre remarque. Il est recommandé, par exemple, dans certaines universités anglo-saxonnes, de ne plus applaudir, ce qui est source d’anxiété, mais d’agiter les mains. Cela sera moins discriminatoire envers les sourds et les autistes. »

 

On ne peut qu’applaudir à cette étude approfondie et originale de nos sociétés…

 

Sauf que la sauce se gâte dans la deuxième partie qui prend carrément des allures de   réquisitoire contre la cause palestinienne. Changement de ton. Prise de position extrême. L’essai devient pamphlétaire. L’analyse tourne à l’attaque.

 

L’auteur reconnu pour ses positions engagées, sans équivoque, affirme « Comme si le fait d’avoir tué des centaines d’hommes, de femmes et d’enfants israéliens avait libéré un appétit de meurtre contre les Juifs dans le monde entier, de San Francisco au Daghestan ».

 

Alors que, toujours sur sa lancée à propos de l’« offensologie », le célèbre essayiste et chroniqueur commente objectivement le « gynocide » : « On évacue l’idée qui est au fondement même de la justice, la proportion entre une peine et sa sanction»,  en parlant de l’extension du viol aux gestes anodins « œillades lubriques, sourires inconvenants », n’hésitant pas à suggérer même la nécessité de relativiser  : « Il n’y a pas d’échelle de Richter des souffrances mais ne pourrait-on envisager une gradation qui permette d’évaluer les différents forfaits ? »

 

Ahurissant deux poids deux mesures qui arrêtent net la lecture.


 

Le livre est disponible chez Antoine

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