À la galerie Mark Hachem, Irene Ghanem présente Entre Terre et Mer, une exposition solo vibrante, mêlant fluidité et ancrage, douceur et force. Issue de l’expressionnisme abstrait, sa démarche reste pourtant profondément incarnée, nourrie par une vie traversée par la guerre, la reconstruction et le voyage. Dans cet entretien, elle parle sans filtre de la couleur, du geste, et de cette joie obstinée qui traverse sa peinture. Entretien avec l’artiste.
Vous partez toujours d’un élément concret pour peindre. Pouvez-vous nous en parler ?
Je pars toujours d’un vécu, d’une émotion, d’un voyage, d’un paysage. Je commence par quelque chose de réel, quelque chose qui me touche profondément. Puis j’épure, j’enlève le superflu, pour arriver à l’essentiel. Si j’atteins l’abstraction, tant mieux, c’est que j’ai trouvé l’émotion forte.
J’aime éveiller la curiosité des visiteurs : est-ce un cyprès ou une libellule, une montagne ou autre chose ? L’abstraction garde ce mystère-là, elle ne lasse pas. Je veux que mes toiles fassent rêver, qu’on y revienne des années plus tard et qu’elles se racontent autrement. C’est ça, l’intemporel.
Comment savez-vous qu’une toile est terminée ?
Il faut qu’il y ait un petit choc, quelque chose qui me parle fortement. Tant que je ne le ressens pas, je continue à chercher. Les couleurs, elles aussi, suivent mes périodes : parfois saturée de bleus, j’ai envie d’ocre et de beige. La toile Relax, par exemple, vient de ce besoin de cocooning, de douceur. J’y ai mis la lumière de mon jardin, un escargot aperçu, un cyprès, une chaise sur un balcon : des fragments de réel qui deviennent émotion.
Vos œuvres racontent souvent des histoires intimes ou collectives.
Oui, chaque toile porte sa mémoire. Idak 3an Watani montre une main blanche sur le chaos. C’est une toile née pendant les derniers bombardements du Sud, une main qui frappe la table pour dire “Ne touchez pas à mon pays!”. Le Chant de ma vie est une toile que j’aime beaucoup, elle est tourmentée, vivace et vivante, comme moi. Mes voyages, la fluidité de l’eau, le dynamisme des poissons contribuent à amener cette positivité. On retrouve dans Où j’habite 1 et 2, les toits rouges des maisons du village où j’habite, Kornet el Hamra, et dans Le Parasol orange qui rappelle mon enfance dans les années 70, quand tout baignait dans la lumière de l’orange.
Quadriptyque, Souvenir d’un Parasol Orange Memory of an Orange Parasol, 2025, Acrylic on canvas, 140x140 · (70x70 each)
Vos toiles dégagent une joie paradoxale, presque spirituelle, malgré les blessures de votre parcours.
J'ai été blessée durant la guerre, fortement, j’ai fait au-delà de 8 ou 9 opérations.
C'était un chamboulement de ma vie. J'ai décidé de faire de l'art, de voir la vie différemment, de célébrer la vie. Je suis trop heureuse de vivre ce que je vis et je veux partager avec le monde qu'il faut être heureux.
Vous êtes très attachée au mouvement, à la gestuelle.
Oui, je suis gestuelle et coloriste. J’aime la fraîcheur du premier trait: dans L’Écho, j’ai cherché la trajectoire du poisson, cette légèreté qui porte une force. Même avec des couleurs que l’on croit douces, je veux de l’intensité. C’est le choc entre la douceur et la puissance.
Votre exposition s’intitule Entre terre et mer. Que signifie cet entre-deux ?
Dans mes toiles, je cherche cet équilibre entre ancrage et mouvement. Il faut apprendre à être fluide dans sa vie, comme le courant, se laisser porter, chercher et trouver le beau.
Un jour, dans un immense aquarium, j’ai été fascinée par les bleus, les sons, le mouvement. C’est de là qu’est née toute une série inspirée de cette sensation.
Relax, 2025, Acrylic on canvas, 130x230
Vous parlez souvent de la couleur comme d’une émotion. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Le choc des couleurs est un véritable dialogue, il fait naître des émotions, c’est un jeu de subtilités. La valeur du jaune orangé n'est jamais mieux exaltée que par son contraste avec un bleu marine. C’est de ce contraste que naît l’émotion. Une toile raconte une histoire sans fin.
Votre langage pictural mêle Orient et Occident.
Je suis nourrie par la lumière du Liban, mais aussi par mes séjours en France et aux États-Unis, les couleurs des maîtres. Ce mélange, je le revendique et Hommage à Helen Frankenthaler revisite l’une des toiles de ce maître. Cependant, ma peinture est singulière, je ne veux ressembler à personne et j’insiste à être moi-même.
Quelle émotion souhaitez-vous que le visiteur garde en quittant votre exposition ?
L’émerveillement. Je m’exprime mieux avec les couleurs qu’avec les mots. J’aime qu’on se laisse porter par mes toiles, que chacun les interprète différemment, selon son vécu. C’est magique.
Et cette exposition ?
C’est la plus belle. Elle me ressemble, elle est la vie même : tourmentée, vibrante, pleine d’espoir.
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Contre-courant, Countercurrent, 2025, Acrylic on canvas, 135x135