Prisé et populaire, le champignon est un ingrédient bien répandu dans nombre de recettes et de plats au Liban. Pourtant, il y a 30 ans encore, sa consommation était encore exclusivement dépendante de l’importation. L’Agenda Culturel a rencontré Ghassan Mezher dans son exploitation près de Damour, la première champignonnière du pays.
Entre la côte et la route vers Saïda prospère un microclimat idéal pour la pousse de la banane. Elle recouvre bien les deux tiers des 19 hectares d’exploitation de la pépinière de Khaled Aoun à Damour, qu’elle partage avec quelques plants de courgettes et une grande variété de fleurs. Lui, sa main verte et son expérience se sont installés là en 2017, remodelant la terre et colorant la côte. Par les sentiers de terre bordés de couleurs qui quadrillent son exploitation, il nous guide jusqu’à un voisin plus discret, à quelques centaines de mètres de là. Ici la végétation se cache dans de larges casemates rectangulaires en béton blanchies à la chaux. Au frais et à l’ombre, disposés dans leur terreau sur de longues étagères dans un hangar réfrigéré, se prélassent les champignons de Ghassan Mezher.
Ghassan Mezher : de la forge au compost
Ghassan et le champignon, c’est venu un peu par accident. Forgeron de formation, lui ne conçoit initialement que les étagères destinées à recevoir le mycélium de la première champignonnière libanaise. Dans la pénombre du hangar, au milieu des 8 chambres qui libèrent chacune 3 à 4 tonnes de champignons tous les 21 jours, on peine à imaginer la difficulté qu’il nous décrit de ses débuts, il y a 25 ans. « Les 5 premières années, c'était très compliqué, nous avions beaucoup de pertes. »
Si compliqué que son partenaire, qui le premier avait eu l’idée de cette champignonnière et avait embrigadé Ghassan dans son aventure, quitte le navire. Fils d’agriculteurs, Ghassan pressent le potentiel de l’affaire, s’accroche, et finit par prendre contact avec une société française à la recherche de nouveaux débouchés pour son mycélium. C’est d’abord un consultant qui lui est envoyé. Ensemble, ils élaborent le compost adapté, que Ghassan récolte du fumier des poulaillers, apprend à le stériliser et à y inoculer le mycélium.
La concurrence du compost all inclusive
Aujourd’hui sa production ne subit presque plus de pertes. Choyés dans leur tiède humidité, les champignons de Paris essaiment sur le grand tapis brun du terreau, çà et là des portobello surgissent, parfois des pleurotes en huître se déploient timidement en grappe soudées. Dans quatre jours cette chambre rendra sa première récolte, dans une autre le compost vient tout juste d’être disposé tandis que dans une troisième quelques chapeaux s’extirpent à peine de terre. Ces productions différées permettent à Ghassan de s’adapter rapidement aux fluctuations incertaines d’une demande évoluant au gré du tourisme et des saisons. Aux exigences des restaurateurs et grossistes, moins regardant de la provenance et des conditions de production que de l’aspect visuel des champignons. On en réclame des bien gros et des très blancs.
Des attentes auxquelles a su répondre une concurrence grandissante. Occupant seul le marché libanais 12 ans durant, Ghassan a été rattrapé par de nouveaux exploitants plus ambitieux et moins scrupuleux. Exit la lente fermentation du compost, ici on l’importe tout inclus depuis les Pays-Bas, inoculé et stérilisé. Déballez, étalez et c’est prêt, vous n’avez plus qu’à patienter. « De cette manière, c’est 70 % du travail qui est supprimé d’un coup ! »
Un savoir-faire à l’épreuve des crises
Face à la cadence de production démultipliée de ses concurrents, Ghassan n’a pas d’autre choix que de s’adapter. Outre le gain de temps considérable qu’il procure (21 jours pour une récolte contre 65 initialement), le terreau européen, enrichi en nutriments, apporte des garanties sanitaires par la traçabilité à laquelle il est soumis. Ghassan met de côté son compost « maison » mais en conserve la recette dans un coin de la tête.
Depuis, sur les six étagères de la chambre où nous nous trouvons, s’étendent 14 tonnes de terre hollandaise. Mais quand viennent les crises, l’hollandais s’importe mal, alors Ghassan revient aux poules et sa production subsiste. Son savoir-faire lui permet de résister tant bien que mal à la dépression de 2019, qui le contraint cependant à sacrifier la moitié de ses employés et fermer six chambres froides sur une autre exploitation. Aujourd’hui, Ghassan emploie onze personnes à la production, et deux à la distribution. Sa productivité a repris une cadence saine, à l’extérieur du hangar des ouvriers s’activent à la construction de deux nouvelles chambres, et Ghassan espère pouvoir bientôt réactiver l’activité de sa seconde exploitation.
D’un Mezher à l’autre
Pour éviter de tenir trop longtemps les portes ouvertes et épargner aux champignons un coup de chaud, Ghassan nous entraîne dans son bureau, où son fils nous a préparé le café. La vingtaine bien tassée, barbiche naissante et mains déjà calleuses, Ahmad approche de la fin de ses études d’ingénieur agronome. Depuis un mois, il travaille auprès de son père, apprend à ses côtés en vue de reprendre progressivement l’exploitation après lui. « J’ai l’intention de ralentir le rythme. Je vais lui laisser peu à peu la main, et dans cinq ou six ans, je compte me retirer, mais rester disponible pour lui en tant que consultant » explique Ghassan. Assis à ses côtés, Ahmad déclare sa fierté de succéder à son père, de reprendre le flambeau du précurseur, de faire perdurer son intuition et son savoir-faire.
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