Un oiseau vient se poser sur la branche.
On essaye de le prendre en photo.
À peine a-t-on saisi l'objectif, que la coquine créature s’est envolée.
Et l'on réalise que l'on a raté à la fois la photo, et le plaisir d’observer la mignonne chose sur la branche.
Dans un concert de Stevie Wonder, des milliers de spectateurs sont boulonnés à leurs sièges.
Attendant l’apparition de la star …
L'arène est en ébullition...
L'atmosphère survoltée…
Et voilà que le moment tant attendu arrive.
La légende entre en scène et, sans préambules, attaque ‘My Chérie Amor’.
Des milliers de spectateurs brandissent leurs portables et saisissent la scène à travers un petit écran, aussi grand que la paume de leur main. Dans l'intention d'immortaliser le moment ...
Stevie est ici à quelques mètres d'eux, en chair et en os, se dandinant la tête, mais eux le regardent à travers leurs portables au lieu d’ouvrir grands les yeux, et de dilater leurs oreilles ...
La caméra s'est transformée en un parasite qui s'insère entre la vie et nous. Elle brouille les beaux moments, elle nous transforme en voyeurs. Les gens veulent tout prendre en photo. Ne rien laisser échapper.
Du temps de nos aïeux, ceci n’était pas possible.
Photographier une jolie scène ruine souvent le plaisir de la ressentir. On devient archiviste au lieu de vivre le moment.
Durant les années 80, à Paris, j’étais toujours ébahi par ces touristes japonais, Nikon en bandoulière, qui s'échangeaient inlassablement des photos dans la rue. Mêmes poses et mêmes sourires béats à tous les coins. Des milliers de photos sans intérêt, allant droit aux oubliettes.
Des moments-photos à la place de moments de vie …
Il est tout à fait normal et sain qu’on veuille immortaliser les premiers pas d’un bébé, ou ses premiers balbutiements, pour pouvoir s'en émerveiller plus tard.
Il est tout à fait normal de filmer l'inauguration de la Tour Eiffel, ou de se poser pour la photo en haut de la muraille de Chine.
Mais une photo sur l’autoroute devant le MacDo, quel moment inoubliable !
Vouloir partager le moment est légitime, mais le passage du partage à l’exhibitionnisme, ne tient qu'à un fil.
La nouvelle maladie d'aujourd'hui s’appelle le 'Insta'.
Un fléau mortel sur le thème ‘regarde-cette-photo-de-rêve’, ‘regarde-ce-que-je-vis’, 'regarde comme c'est beau !', ‘regarde combien je suis heureux !’
Insta, c’est le championnat du monde des photos qui remplacent la vie. On passe son temps à créer des 'souvenirs' de moments qui n’ont pas authentiquement eu lieu. D'une part ça pullule de gourous qui pondent des photos à longueur de journée, les 'influencers' comme on les appelle, et de l'autre des voyeurs, que l'on appelle les 'followers'.
En une minute d’Insta, on est capable de parcourir des images qu’il faudrait une vie entière pour vivre.
Dans le confort d'un fauteuil, on grignote des popcorns en parcourant les prairies du Machu Picchu en 3 secondes, puis on s'approche d’un rhinocéros pour 6 secondes, ensuite on s'assoit sur une plage de Thaïlande aux fins fonds de la terre pour 2 secondes et 3 dixièmes, et on contemple les géants monticules ovoïdes qui surgissent de la mer en face de la plage.
Instagram a vidé la beauté de ses mystères.
C’est le fast food des beaux moments.
Le hot-dog de la poésie.
Vaut mieux arrêter de capturer tous ces moments, car on les survole seulement au lieu d’y atterrir.
Alors que faire lorsqu’un beau moment arrive ?
Ben on garde simplement les mains dans nos poches.
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