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Brésil–Liban : dialogues visuels autour du Sertão

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03/11/2025

Pour sa première venue au Liban, le photographe brésilien dévoile à Beyrouth « Veredas de um Novo Sertão » , un voyage au cœur d’un territoire longtemps perçu comme figé, où l’archaïque côtoie désormais le numérique. À rebours des clichés carnavalesques, ses images racontent un Sertão vivant : réservoir culturel du Brésil, biome de la Caatinga aux enjeux climatiques cruciaux, et laboratoire discret de politiques de l’eau. Entre cinéma, musique et littérature, il recompose le regard sur les sertanejos et montre comment la technologie peut devenir résistance et affirmation. Rencontre avec le photographe.

 

Est-ce votre première fois au Liban ? Quelle est la signification de présenter l’exposition « Veredas de um Novo Sertão » à Beyrouth ? De quelle manière le public libanais peut-il se connecter aux images et à la réalité du Sertão brésilien ?

Oui, c’est ma première fois au Liban et dans le monde arabe. Beyrouth et le Liban sont des références importantes pour nous, en raison de la forte immigration libanaise au Brésil. La communauté de descendants libanais y est très nombreuse et influente. Nous vivons donc entourés de nombreuses références venues du Liban, intégrées à notre culture, surtout dans la gastronomie.

 

Je pense que le Brésil suscite de la curiosité, mais, en général, les thèmes les plus diffusés tournent autour du carnaval et du football. Ces dernières années, l’Amazonie a commencé à faire partie de cet imaginaire brésilien contemporain. Le Brésil est un pays territorialement immense et possède d’autres caractéristiques tout aussi importantes. Le Sertão brésilien, vaste région intérieure, est très peu connu à l’étranger et peu compris, même par les brésiliens eux-mêmes.

 

D’une certaine manière, le Sertão est une sorte de réservoir culturel du Brésil. La musique, le cinéma, les arts visuels et la littérature y sont profondément liés. «Asa Branca», de Luiz Gonzaga, considérée l’hymne du Sertão, est l’une des chansons brésiliennes les plus connues et les plus interprétées à l’étranger. Glauber Rocha a filmé le Sertão dans «Le Dragon de la méchanceté contre le Saint Guerrier» et dans «Le Dieu noir et le Diable blond».

 

La littérature brésilienne trouve dans le régionalisme l’un de ses mouvements les plus importants, avec des auteurs tels que João Cabral de Melo Neto, Graciliano Ramos, Jorge Amado, Ariano Suassuna et Guimarães Rosa, entre autres. Malgré cette importance, le Sertão est encore perçu comme un lieu figé dans le temps, un espace du passé.

 

Le XXIe siècle apporta la possibilité pour le Sertão de se moderniser sans perdre ses traditions, un espace où l’archaïque et le moderne coexistent côte à côte. Ce choc culturel, provoqué par l’explosion des technologies de communication comme l'Internet et les réseaux sociaux, est arrivé jusqu’au Sertão, suscitant une tension qui m’intéresse particulièrement.

 

Je fais partie d’une génération qui tente de redonner un nouveau sens au Sertão, en montrant qu’il n’est plus un territoire d’impossibilités dominé par le retard et l’archaïsme, mais qu’il préserve pourtant une grande part de son passé et de sa culture singulière, pleine de signes et de significations.

 

Je crois que le peuple libanais peut se sentir proche du Sertão si nous parvenons à montrer que les lieux apparemment figés dans le temps peuvent faire un saut qualitatif en utilisant la technologie comme forme de résistance et d’affirmation culturelle.

 

Le Sertão suscite également beaucoup de curiosité : c’est un biome unique au Brésil, habitat de plantes exotiques et uniques, soumis à des transformations climatiques temporaires entre les saisons. Et les changements climatiques sont aujourd’hui un sujet d’importance mondiale.

 

Je crois que les caractéristiques biologiques du Sertão,  celles que nous présentons dans cette exposition, peuvent intéresser le monde entier. Le biome de la Caatinga et le climat semi-aride, qui caractérisent techniquement le Sertão, composent l’une des régions les plus positives de la planète en termes d’échange de CO2. Cela, à lui seul, justifierait un plus grand intérêt pour le Sertão, en plus du fait qu’il s’agit d’un territoire qui mène une révolution silencieuse dans la gestion des crises hydriques, avec des projets et des politiques publiques remarquables, comme le Programme Un Million de Citernes, destine à l’agriculture familiale.

 

Avec plus de trente ans de carrière et une connaissance approfondie du Nordeste du Brésil, quelle est la signification du projet « Veredas de um Novo Sertão » dans le cadre plus large de votre parcours artistique et photographique ?

Depuis de nombreuses années, je porte mon regard sur les changements provoqués par la mondialisation dans les lieux et les événements de la région où je vis, une région périphérique du Brésil et du monde, mais dotée d’une grande puissance culturelle. Le carnaval et la ville de Recife sont d’autres thèmes sur lesquels je travaille, également sous cet angle des transformations globales.

 

Que signifie la mondialisation pour le carnaval, la fête la plus importante et la plus populaire de ma région ? L’arrivée des méga-événements, la gentrification de ces manifestations authentiquement populaires, les dommages causés à l’architecture et à l’urbanisme par les destructions et reconstructions successives des villes économiquement les plus vulnérables - tout cela se reflète dans le paysage urbain et dans la vie de leurs habitants.

 

Il en va de même pour le Sertão. Que signifie cette avalanche d’informations, et comment affecte-t-elle ce lieu emblématique qu’est le Sertão ? Bien que je travaille sur ce sujet depuis longtemps, je crois que ce n’est qu’aujourd’hui que nous pouvons en tirer des conclusions plus précises. Pour mon travail, je suis encore loin d’avoir épuisé ces thèmes, mais, pour les affiner, j’ai besoin de partager ces images et de comprendre comment mon regard est reçu dans des lieux aux cultures distinctes et lointaines qui, d’une certaine façon, subissent les effets des mêmes forces.

 

Des noms comme Sebastião Salgado (1944–2025), qui nous a récemment quitté, ont profondément marqué la photographie contemporaine mondiale. Pourriez-vous esquisser un bref panorama de la photographie brésilienne actuelle et commenter la manière dont votre travail dialogue avec cette tradition ?

La photographie brésilienne est très plurielle et, pendant de nombreuses années, elle a été perçue comme un exercice documentaire lié à des questions politiques et sociales - principalement à travers le photojournalisme, fortement influencé par la photographie humaniste française. Nous avons, au-delà du géant Sebastião Salgado, des noms importants comme Walter Firmo, qui a photographié le Brésil africain, Mario Cravo Neto, Vik Muniz et Miguel Rio Branco, ainsi que Rodrigo Braga, Lalo de Almeida, Luiz Braga et bien d’autres répartis sur l’immense territoire brésilien.

 

De nombreux jeunes produisent aujourd’hui des images étonnantes dans tous les domaines. Partout au Brésil, des gens photographient leurs jardins et redéfinissent l’image du pays. La photographie, comme toute la culture brésilienne, se manifeste avec intensité dans les périphéries, loin de São Paulo et de Rio de Janeiro. La région amazonienne suscite un grand intérêt et beaucoup de curiosité, et je crois que le Sertão est l’un des lieux capables de révéler de nouvelles manières de comprendre le Brésil.

 

Je fais partie de ce groupe qui n’a pas migré vers São Paulo à la recherche de reconnaissance. Il est urgent de photographier ce qui se trouve en dehors de l’axe traditionnel Rio–São Paulo. Il en va de même pour les artistes de la musique et du cinéma. Le Brésil se fait dans ses périphéries!

 

L’exposition « Veredas de um novo Sertão » est un prolongement de ma recherche sur le Sertão. Depuis de nombreuses années, je parcours l’immense Sertão brésilien et j’essaie de comprendre pourquoi nous avons créé un regard si étroit et dépréciatif sur le Sertão et sur les sertanejos.

 

Mon regard a toujours été guidé par d’autres langages tels que le cinéma, la musique, la littérature et les arts visuels et, pendant longtemps, j’ai essayé de libérer ma photographie de l’influence d’auteurs comme Euclides da Cunha et de son classique « Os Sertões » : un livre grandiose et très important, mais limité en tant qu’observateur de la structure humaine du Sertão et de son peuple.

 

C’est Guimarães Rosa, avec sa dimension transcendante de l’âme sertaneja, qui m’a fait comprendre le Sertão comme un territoire au-delà de la géographie :  « Le Sertão est en nous et il est partout. » Où qu’il se trouve, chacun de nous, sertanejos, connaît et vit son propre Sertão. Le Sertão est une grande traversée à l’intérieur de nous-mêmes.

 


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