La première question que l’on pourrait poser à un étranger qui arrive dans la capitale Libanaise serait : «Que fuyez vous ? » La réponse serait que l’on souhaite à tout prix s’éloigner de nos vies réglées, aseptisées, organisées pour nous éviter tout risque.
En fait, on ne fuit pas, ni même se ressourcer mais plutôt renaître comme après une longue thérapie. En vérité, cela ressemble plutôt à une fuite vers la liberté. «Ma liberté est de ne pas être comme ils veulent que je sois » dit un vieil adage Arabe. Cela signifie que l’on a le droit et le luxe de se perdre, de se dépouiller de ses rôles, des injonctions, des superstructures de son monde d’appartenance afin d’acquérir une nouvelle conscience de soi et par conséquent de ce que l’on veut devenir. Beyrouth, le Liban, deviennent donc le véritable lieu où, pour la première fois, on a posé un regard conscient sur soi.
À Beyrouth, le temps lui-même perd sa structure. Il devient flou, incertain, suspendu. Ici, tout semble possible – et son contraire aussi. On vit avec la conscience aiguë que tout peut basculer. D’où cet "Inshallah" répété à longueur de phrases, ce mot qui flotte dans l’air comme un dernier recours face à l’imprévisible.
Il en va ainsi du Monde et du Liban, avec ses contradictions les plus déchirantes. Les camps d'horreur de Sabra et Chatila qui coexistent non loin de là avec de luxueux gratte-ciel où des enfants squelettiques Syriens fouillent les bennes à ordures au pied de voitures de luxe. C'est donc un Liban épuisé et déchiré qui vit cet état de perpétuelle "veille de la fin" qui est producteur de beauté humaine. D'une part, des réseaux émouvants de solidarité comme l’Ong « Offre Joie », capables de dépasser les appartenances religieuses, nationales et politiques dans la patrie du sectarisme. Lorsque l'État fallit, les êtres humains interviennent.
D'autre part, un puissant élan et une grande vivacité culturelle parcourt cette ville car avant l'adieu final, il y a toujours le chant du cygne. La Vienne des Habsbourg et la République de Weimar, au crépuscule de leur temps, étaient des creusets d’inventivité stupéfiants et d’expression artistique.
Ainsi, chaque jour, et malgré les bombes et missiles qui s’abattent sur la capitale, des dîners raffinés avec des diplomates, des ministres, des ecclésiastiques s'accompagnent de conférences, vernissages, expositions, concerts, débats sur les sujets les plus controversés et les plus tabous relayés par L’Agenda Culturel, institution Levantine.
Dans un contexte où toutes les émotions sont amplifiées et poussées à l'extrême, à la limite de l’attaque cérébrale, tout cela crée un lien si profond, si intense et si indissoluble que l'on peut parler du Mal de Beyrouth. Une sensation que l'on n'oublie jamais une fois qu'on l'a éprouvée, comprise comme un désir incessant et magnétique de retourner sans cesse au Levant, le seul endroit que, peu importe le lieu où l'on est né, on se sent capable d'appeler authentiquement sa maison. Un mal qui ne pourra jamais être pleinement compris que par ceux qui se sont immergés et perdus dans l'insoutenable légèreté du Levant.