Sous la surface calme de ses toiles, il y a une écriture. Des mots arabes tracés à la main, porteurs d’émotions, de rêves et de silences. Arshi expose pour la première fois à la LT Gallery à Mar Mikhaël, à partir du 7 novembre à 18h, un monde intérieur où chaque texte devient image, chaque sentiment, matière. Inspirée par la délicatesse du poète Christian Bobin, elle transforme ses fragments de vie en poésie visuelle.
Comment l’écriture est-elle entrée dans votre vie ?
C’était pour comprendre mes émotions, écouter mes propres pensées. Je ne savais pas parler de moi, alors j’ai écrit. J’ai commencé par écrire des histoires courtes, puis sont venus les récits, deux livres n’ont jamais été publiés jusqu’à présent.
D’où est née l’idée de cette exposition ?
Un ami écrivain m’a encouragée à condenser mes histoires en quatre ou cinq lignes. Il m’a parlé d’auteurs japonais et français capables de dire l’essentiel en quelques mots. J’ai essayé, et j’ai aimé cette contrainte. Puis mon mari, Atam Frey, voyant mes textes écrits à la main, m’a suggéré : “Pourquoi ne pas les mettre sur toile ?” C’est là que tout a commencé. J’ai voulu donner aux mots une autre dimension que celle du langage.
Vous travaillez la main, l’écriture, la matière…
Oui. Au départ j’écrivais sur des toiles, puis j’ai voulu utiliser le 2D et 3D, en faisant des sculptures à partir de papier, de ballons, de mannequins, ou de plexiglas. Chaque texte dicte sa forme. L’un parle de l’attente d’une personne qui ne vient jamais, cela s’inscrit sur une robe en suspens. Un autre évoque une liberté offerte, puis perdue…et se déploie sur un cadre ouvert, à moitié vide, pour montrer cette liberté incomplète. J’aime transformer la phrase en espace.

Que racontent vos textes ?
Ce sont des morceaux de vie, des émotions glanées entre Dubaï, l’Arménie, le Liban. J’y ai mis mes voyages, mes amours, la maternité, les solitudes. Rien de programmé. Ce sont des instants que j’ai vécus et que j’offre tels quels. Je ne cherche pas à livrer un message unique – je veux plutôt inviter chacun à entrer dans mon monde, à écouter ce que ces mots réveillent en lui.
Votre rapport à la société libanaise, à la vie ici ?
Je retrouve au Liban une énergie vitale que je n’ai vue nulle part ailleurs. Malgré les difficultés, les gens continuent à célébrer la vie. Trois amis suffisent pour chanter, danser, rire. Cette force m’inspire. C’est un pays où, même avec rien, on invente encore la beauté.
Vous dites que l’exposition est née d’une collaboration…
Oui, d’abord grâce à Michael Vayejian, co-propriétaire de l’Arame Gallery, qui a cru à ce projet et m’a mise en contact avec la LT Gallery, donnant ainsi naissance à cette première exposition. C’est la rencontre avec Ali Atwi, artiste et fondateur de Art Form, une structure qui accompagne les artistes et organise leurs openings. Il est devenu mon véritable partenaire dans cette aventure. Avec lui, chaque pièce se construit comme un dialogue entre deux imaginaires. je lui donne un texte, il imagine une matière et un espace. De nos visions, qui s’opposent parfois, naît la forme juste.

Vous travaillez beaucoup la symbolique du quotidien. Pourquoi ?
Parce que chaque petit geste contient un monde. Par exemple, une de mes pièces s’appelle Samaka. Elle raconte une poisson qui se croyait gazelle, et s’est noyée. J’y parle du moment où l’on veut être autre que soi, et où l’on oublie sa vraie nature. Une métaphore simple, mais vraie. On doit apprendre à nager dans son propre élément.
Comment voulez-vous que le public vive cette exposition ?
Je veux offrir un espace de réflexion. Nous vivons dans un monde saturé d’images et de messages tout faits. Devant chaque toile, j’aimerais que le visiteur prenne un instant pour plonger en lui. Qu’il lise, qu’il ressente, en silence. La beauté n’est pas dans le résultat, c’est le chemin qu'on prend.
Vous avez évoqué un livret, 45…
Oui. Ce petit livre réunit les textes qui ont inspiré l’exposition. Tous sont manuscrits, comme les toiles. Ce sont quarante-cinq fragments d’âme, écrits à la main, reliés dans un livret qui paraîtra bientôt.
Et la suite ?
Il y aura une continuation. Peut-être une exposition au Japon, où mon mari travaille, peut-être une série de sculptures. Peu importe la forme, tant qu’il y a la sincérité du geste. L’essentiel est d’apprécier la beauté et le pouvoir des mots.
Dans la voix d’Arshi, chaque mot devient fragile, et parle du doute, du temps, des renaissances. Ses toiles murmurent ce que nous taisons. Entre la peinture et la poésie, elle nous rappelle qu’il suffit parfois d’une phrase pour sentir une vie entière.
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