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LEATHER WEEK

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Vernissage: 25/04/2024 à 18:00

Du 25/04/2024 à 16:00 jusqu'au 26/04/2024 à 20:00

AVANT PROPOS

Longtemps, les passants des rues de Bourj Hammoud entendaient le tapotement asynchrome des coups de marteau du cordonnier arménien.

Le Varbed (maitre artisan arménien) battait le cuir au rythme de son cœur, le façonnant pour créer et faire porter aux Libanaisde magnifiques chaussures et des sacs en cuir, Il ne marchandait ni le matériel, ni le temps, ni les efforts qu'il déployait, pas même avec le client, mais se donnait avec une dévotion totale et inconditionnelle, pour prouver avant tout à lui-même qu'il était bien vivant et capable de donner le meilleur de lui-même à autrui.

Respect et honneur à l'artisan qui continue de tenir le marteau en main, transmettant son savoir-faire à la jeune génération, pour maintenir le quartier de Bourj Hammoud vivant et contribuer à la prospérité du Liban.

 

Bourj Hammoud et son Industrie du Cuir

 

Un Aperçu Général

 

Le quartier de Bourj Hammoud, situé dans les banlieues nord de Beyrouth, traversé par le fleuve de Beyrouth au sein du gouvernorat du Mont-Liban, est un quartier dynamique abritant une multitude d'activités résidentielles, commerciales et artisanales, ainsi que des développements industriels périphériques. Notablement, il accueille une importante communauté arménienne au Liban, principalement composée des descendants des survivants du Génocide arménien, qui se sont installés ici au début du 20e siècle. À l'origine constituée de marais parsemés de constructions éparses, la région a accueilli les réfugiés dans des constructions de fortune, évoluant avec le temps en un quartier animé, vibrant de diverses activités, fortement imprégnées de leur patrimoine culturel, comprenant l'expertise en bijouterie, maçonnerie, menuiserie, couture et cordonnerie. Des artisans talentueux ont d’autant plus enrichi l'industrie artisanale locale, en particulier la cordonnerie et la maroquinerie, en mettant à profit leur héritage et les compétences techniques acquises. L'établissement du "Souk el Arman" ou marché arménien, dans le district central de Beyrouth, a facilité l’expansion du nombre de maîtres artisans et des magasins de détail, avec des terres fournies par Anthoun Bey el Misri, une figure arménienne influente ayant le monopole de la taxation ottomane de Mersin à Gaza. Il a offert de nombreuses propriétés à Jérusalem et à Beyrouth à la communauté arménienne catholique, y compris le terrain où ils ont construit le "Souk el Armen" à Beyrouth. Anthoun Bey était également propriétaire du célèbre Khan Anthoun bey, comme documenté dans "Les Arméniens au Liban" par Sissag Varjabedian.

 

Au fil des ans, Bourj Hammoud est devenu renommé pour son artisanat d'excellence dans la production de produits en cuir de haute qualité. Cette industrie a non seulement offert des opportunités d'emploi aux survivants arméniens et aux résidents locaux, mais a également joué un rôle central dans la configuration du tissu économique du quartier, en le positionnant comme hub pour les métiers du cuir au Liban. Cependant, la mesure de l'impact de l'industrie du cuir sur le développement de Bourj Hammoud et sa connexion avec le contexte économique et politique plus large du Liban reste peu explorée.

 

Nous nous sommes efforcés d'approfondir l'histoire de l'industrie du cuir à Bourj Hammoud, explorant son influence profonde sur l'évolution de la ville et sa contribution significative au patrimoine culturel des Arméniens libanais. De plus, nous avons cherché à mettre en lumière la signification contemporaine de l'histoire et des métiers traditionnels de Bourj Hammoud, en soulignant leur importance dans la société moderne. En reliant le passé au présent et en mettant en évidence les implications sociales et culturelles plus larges de l'industrie du cuir, nous avons cherché à impliquer le public et à informer les décisions politiques qui soutiennent les communautés locales et les efforts de préservation du patrimoine.

L'industrie du cuir a joué un rôle crucial dans le développement de Bourj Hammoud, tirant parti de sa situation stratégique près des tanneries et des ateliers environnants pour le transport efficace des produits finis en cuir. Étant le centre vital de la communauté arménienne, cette industrie a non seulement préservé les traditions culturelles perdues lors du génocide arménien, mais a également offert des opportunités d'emploi, variant de l'expertise artisanale au commerce international, soutenant des centaines de familles à Bourj Hammoud et au-delà, et contribuant à sa prospérité économique.

Avec l'essor florissant des artisans arméniens, l'industrie du cuir à Bourj Hammoud a connu une croissance rapide, notamment pendant la Seconde Guerre mondiale, lorsque la demande de vêtements en cuir pour les militaires a explosé. Initialement hésitantes à adopter de nouvelles techniques, les tanneries ont rapidement embrassé des pratiques modernes influencées par l'évolution des demandes du marché. À cette époque, Bourj Hammoud ne comptait pas plus de 15 tanneries en pleine activité, un nombre qui a augmenté de manière significative pendant cette période. La collaboration entre les tanneurs et les bouchers locaux a assuré le traitement efficace des peaux fraîches, mettant en lumière la spécificité la localisation distinctive de l'industrie.

 

À la fin des années 1920 et au début des années 1930, certains des réfugiés qui s'étaient initialement installés dans des zones côtières près du port de Beyrouth avaient déjà déménagé dans des quartiers voisins, notamment Mar Mekhayel, Nor Hadjin, Bourj Hammoud et Hayashen, entre autres, tandis que d'autres continuaient de vivre dans la région de Karantina près du port. Cette transition a permis aux réfugiés d'avoir un accès plus facile au marché du travail au centre-ville, facilitant leur avancement socio-économique. En s'installant dans leurs nouvelles communautés, les Arméniens de Bourj Hammoud et des environs ont joué un rôle vital dans la revitalisation de l'industrie du cuir.

 

Le rôle des artisans arméniens du cuir à Bourj Hammoud

Le rôle des artisans arméniens du cuir à Bourj Hammoud est significatif, car ils ont apporté avec eux une riche tradition de fabrication de chaussures affinée au fil des siècles dans leur patrie. Cependant, la division du travail parmi les artisans à Bourj Hammoud a évolué depuis le début des années 1960, établissant initialement des ateliers individuels pour ensuite se développer en petites et moyennes entreprises. Au sein de ces ateliers, des tâches spécifiques étaient attribuées aux artisans, créant un environnement hiérarchique où les artisans expérimentés se chargeaient de la conception et de la découpe du cuir, tandis que les apprentis se concentraient sur la couture, l'assemblage, le façonnage, la fabrication de semelles et la finition.

 

Les ateliers individuels établis initialement à l'intérieur, puis à côté de leurs maisons, se sont rapidement transformés en ateliers sophistiqués et ont gagné en réputation auprès des Arméniens résidant à Bourj Hammoud et de la communauté libanaise dans son ensemble. Chaque artisan de l'atelier était assigné à une tâche spécifique et essentielle, contribuant à un environnement hiérarchique. Cette division du travail a permis aux artisans de développer une expertise approfondie dans les missions qui leur était attribuées, perfectionnant leurs techniques au fil des ans de pratique. Malgré la distribution vers des marchés extérieurs, ces ateliers, en général, privilégiaient la tradition aux contraintes commerciales, offrant aux artisans une plus grande liberté artistique dans leurs créations. Cette approche illustre le dévouement et le respect que les artisans arméniens avaient pour leur métier ; un sentiment intense propagé dans les ateliers de Bourj Hammoud, enrichissant davantage l'héritage du quartier en matière d'expertise en fabrication de chaussures.

Deux Générations Historiques

 

La première vague d'ouvriers du cuir et de cordonniers arméniens à Bourj Hammoud, connue sous le nom de "Première Génération", était composée de survivants du Génocide arménien qui s'étaient réinstallés dans la région. Parmi eux se trouvaient ceux ayant une expérience préalable de l'artisanat en Cilicie, tandis que d'autres se sont lancés dans ce domaine par nécessité. Cette génération, comprenant à la fois des survivants et leur descendance, a établi des ateliers à Bourj Hammoud dans les années 1920 et 1930, principalement dans des quartiers comme Marash, Trad, Sis et Amanos. Initialement, ces ateliers étaient petits, souvent situés au rez-de-chaussée des immeubles où résidaient les réfugiés. Au fil du temps, ils ont évolué en établissements plus grands, se développant en petites entreprises qui vendaient leurs produits dans la ville.

 

Le "Souk el Arman", ou Marché arménien, servait de marché principal pour les articles en cuir, y compris les chaussures, comme mentionné ci-dessus. Dans les années 1940 et 1950, la demande croissante de chaussures a conduit à l'expansion de ces ateliers, créant ainsi plus d'opportunités d'emploi et favorisant la formation de jeunes cordonniers. Le "Souk el Arman" a conservé son importance en tant que centre de vente de chaussures en cuir. Dans les années 1960, c’est devenu un lieu central non seulement pour les cordonniers, mais aussi pour divers autres artisans arméniens, tels que les tailleurs et les fabricants de sacs. Pendant cette période, les Arméniens ont également établi des ateliers et des points de vente dans d'autres marchés importants de la ville, notamment Souk Taweel, Bab Idris, Ma’rad et Hamra. On estime que le Liban comptait environ 500 ateliers de chaussures durant cette époque, dont une majorité significative était détenue par des artisans arméniens, en particulier à Bourj Hammoud et dans ses environs.

 

De plus, les orphelinats, notamment le Bird’s Nest à Jbeil (Byblos) et les locaux des Capucins à Aabey dans le Mont Liban, ont joué un rôle significatif dans la formation de la première génération d'artisans arméniens. Ces institutions offraient abri et éducation aux orphelins arméniens, les formant à divers métiers et compétences. Beaucoup de ces orphelins sont finalement devenus partie intégrante de la main-d'œuvre qualifiée qui a contribué à l'industrie florissante du cuir à Bourj Hammoud. Ainsi, le patrimoine artisanal a été transmis de génération en génération, enrichissant les traditions artisanales de la communauté arménienne au Liban.

 

La "Deuxième Génération" d'artisans était principalement composée de jeunes garçons de la Première Génération. Ils ont hérité des connaissances et des compétences de leurs pères, avec un transfert de technique et d'expérience se produisant de manière transparente entre les générations. Leur parcours illustre comment les jeunes Arméniens étaient immergés dans les traditions de leurs ancêtres, suscitant ainsi leur intérêt pour devenir des artisans eux-mêmes, contribuant parallèlement à l'héritage durable de l'artisanat dans la communauté.

 

Malgré la menace imminente de la guerre civile au Liban, le secteur de la cordonnerie à Bourj Hammoud a prospéré pendant cette période. En fait, Bourj Hammoud occupait une position unique à cette époque dans le contexte libanais. La majorité de sa population, principalement arménienne, a consciemment choisi de ne pas s'aligner avec quelque faction que ce soit impliquée dans la guerre civile. Cette décision était cruciale pour les Arméniens résidant à Bourj Hammoud, où la guerre civile libanaise a servi de catalyseur au développement de diverses industries et secteurs. Les artisans individuels ont adapté leur artisanat aux secteurs de commercialisation qui étaient les plus développés pour  leurs produits.

 

Alors que Beyrouth traversait une période de récession dans tous les domaines, une vague de demande pour les produits fabriqués localement a émergé. Parallèlement, la diaspora arménienne hors du Liban a facilité l'expansion significative de réseaux commerciaux vitaux. Les traditions de la cordonnerie, de la tannerie et d'autres métiers ont persisté, tout comme elles l'avaient été par une génération de survivants avant eux. Cependant, en raison de la dévastation et de la destruction causées par la guerre dans d'autres régions du pays, de nombreux Arméniens et non-Arméniens qui y possédaient des boutiques et des ateliers ont déplacé leurs entreprises vers l'environnement relativement sûr et calme de Bourj Hammoud, tandis que de nombreux ateliers et magasins arméniens ont été fermés dans les zones de conflit, notamment à Gemayze, Souk Taweel, Bab Idris, Ma’rad et Hamra.

 

L'évolution de l'innovation dans le travail du cuir à Bourj Hammoud

 

Les artisans arméniens du cuir de l'époque ont su préserver la tradition tout en embrassant l'innovation pour répondre aux demandes changeantes du marché. La "Deuxième Génération" a introduit de nouveaux éléments telles que des sacs, des ceintures et divers accessoires aux côtés des produits traditionnels. Les machines, introduites par des entrepreneurs astucieux, ont révolutionné l'efficacité de la production. Cependant, malgré les avancées technologiques, les artisans ont maintenu l'essence du savoir-faire artisanal, mettant l'accent sur la compétence plutôt que sur les outils. La quête de connaissances a également stimulé l'innovation, les artisans cherchant l'expertise à l'étranger, particulièrement en Italie, et introduisant des techniques modernes, telles que les logiciels de conception assistée par ordinateur, pour améliorer la production et développer des marchés d'exportation.

 

Un appel à l'action

 

Alors que nous réfléchissons aux défis auxquels est confrontée l'industrie du travail du cuir à Bourj Hammoud, il devient évident qu'une action urgente est nécessaire pour assurer sa survie et son épanouissement dans le paysage troublé du Liban contemporain. La désintégration de l'économie du pays au cours de la dernière décennie a causé des ravages économiques et sociaux, impactant significativement la classe ouvrière et les secteurs productifs. Aujourd'hui, l'artisanat du cuir est confronté à des défis redoutables et est menacé de disparition. De plus, des facteurs externes tels que la concurrence des produits en cuir importés en masse, notamment ceux fabriqués en Chine et en Turquie, et l'afflux de main-d'œuvre bon marché en provenance de la Syrie voisine, constituent des menaces significatives pour l'industrie. Des mesures proactives doivent être prises pour relever ces défis et protéger le patrimoine artisanal local.

L'économie libanaise a prospéré dans les années 60 et 70 du siècle dernier grâce à la dispersion horizontale et à l'effervescence des PME, incluant une production artisanale dans tout le pays. Les politiques de réhabilitation adoptées dans les années 90, après la guerre, ont transformé l'économie du pays en un schéma centralisé vertical, oblitérant progressivement les potentiels des PME. Ànoter que par le caractère inné des Libanais, largement individualiste, ils préféraient diriger leur propre entreprise avec leur famille et leurs proches plutôt que d'être employés ; sinon ils choisissaient plutôt d'émigrer.

Le rôle de l'industrie du cuir à Bourj Hammoud a prospéré, avec la disponibilité immédiate des matières premières, à savoir les différents types de cuir, fournies par le vaste réseau de tanneries opérant dans la région de Bourj Hammoud, qui étaient approvisionnées en cuir brut par les abattoirs locaux, tous gérés sous l'égide de l'administration publique. Cependant, l'absence de contraintes environnementales pour ces tanneries ainsi que pour les abattoirs constituait un inconvénient majeur pour ces industries.

Dans les années 90 du siècle dernier, ces abattoirs ont préféré vendre leurs produits sur les marchés extérieurs, notamment en Turquie, dans le but de réaliser des bénéfices plus élevés, dans une perspective à court terme qui privait les tanneries locales de matières premières facilement disponibles à des coûts raisonnables. Ils étaient alors obligés d'acheter du cuir sur les marchés extérieurs à des prix plus élevés, ce qui dégradait leur compétitivité sur le marché et entraînait la fermeture progressive des tanneries locales, en sus de leurs impacts environnementaux cumulatifs.

 

En réponse à ces défis, une stratégie multifacette doit être poursuivie pour revitaliser et soutenir l'industrie du travail du cuir :

 

Premièrement, des initiatives de renforcement des capacités sont primordiales. En renforçant les compétences et le savoir-faire des artisans grâce au transfert de savoir-faire des anciens maîtres artisans, à l'introduction de nouvelles techniques et compétences, et à l'autonomisation des artisans pour qu'ils s'adaptent aux demandes changeantes du marché. L'association "Badguèr" a été instrumentale à cet égard, en organisant, sous le parrainage de l'UNESCO, des sessions de formation, et en collaborant avec des écoles de mode et des universités pour soutenir le développement des compétences.

Deuxièmement, la reconstitution d'organisations syndicales et de clusters artisanaux est cruciale pour renforcer leurs capacités marketing et leurs potentiels collectifs au sein de l'industrie. Ces syndicats, comme le préconise "Badguer", peuvent équilibrer la dynamique du marché et protéger  la production. En procédant à l'enregistrement des ateliers et des artisans, en créant des bases de données et en organisant des expositions, ces syndicats facilitent la coopération et la solidarité entre les artisans, reconnaissant l'importance des chaînes de valeur pour améliorer la compétitivité sur les marchés modernes.

 

En outre, la recherche de débouchés pour les produits artisanaux est essentielle à la durabilité et à la croissance de l'industrie. Des initiatives telles que celles entreprises par l'association "Badguèr", qui ont ouvert les portes aux joailliers de Bourj Hammoud lors d'expositions prestigieuses telles que Vicensaoro en 2016, démontrent le potentiel d'expansion du marché et la valeur des programmes de formation collaboratifs dans l'amélioration de la qualité et de la compétitivité des produits. Notons donc les opportunités offertes et facilement accessibles pour les produits locaux, dans la situation économique désastreuse du pays.

En plus de ces piliers stratégiques, l'engagement médiatique joue un rôle crucial dans la sensibilisation du public et la mobilisation de support en faveur de la préservation des métiers traditionnels. Reconnaître et mettre en avant la valeur des artisans qualifiés dans les médias de masse peut favoriser la promotion et la demande de ces produits, contribuant ainsi à leur viabilité économique.

 

En conclusion, des initiatives éducatives sont fondamentales pour inculquer une appréciation des métiers de l'artisanat en tant que patrimoine culturel immatériel et ressources économiques pour les générations futures. En intégrant l'importance des métiers traditionnels dans les programmes scolaires, nous pouvons inspirer les jeunes esprits à embrasser ces compétences et à contribuer à leur préservation et à leur évolution, tout en créant des opportunités d'introduction anticipée sur le marché lorsque cela est nécessaire.

 

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