Il est des soirs où le lieu, le temps et la musique semblent conspirer ensemble pour suspendre le réel. C’était le cas hier soir à Bkerzay, quand Lubnan et Soumaya Baalbaki ont investi la scène naturelle du Chouf avec un concert qui portait bien son nom : Légendes sous les étoiles.

Des projecteurs, tour à tour sur scène et dans la nature derrière la scène, un orchestre de 22 musiciens, et, en filigrane, une émotion palpable dès l’introduction. Lubnan Baalbaki prend la parole, évoque Ziad Rahbani : « On continuera de ressentir sa présence ». La musique qui suit est Athar Ala Rimal, composée par Ziad à 19 ans, morceau chargé d’une mélancolie vibrante, qui vient s’inscrire dans la brume du soir comme une respiration profonde.

Quand Soumaya entre en scène, présentée par son frère qui rappelle tendrement qu’elle a été sa première inspiration musicale, elle est émue, presque submergée. Il faut dire qu’arriver après cette chanson, c’est comme entrer sur scène après un murmure de l’âme. Elle s’essuie les larmes, et lance à Lubnan : « Tu passes cette chanson en début de concert, laisse-moi le temps de m’en remettre ».

Elle commence avec Behlam Ma3ak, de Najat Al Saghira qui a été retravaillée en tango, où l’on sent déjà les choix soignés, la volonté de faire dialoguer les styles sans rien trahir de leur essence. Puis vient Ya Zahratan Fi Khayali, présentée comme un clin d’œil à un autre duo mythique frère-sœur, celui de Farid el Atrash et d’Asmahan. À chaque chanson, Lubnan Baalbaki prend soin d’expliquer et de transmettre pour que ce soit un concert qui se vit et qui se ressent.

Le public tarde à chanter avec Soumaya, qui s’amuse de leur timidité. « Ils ne chantent pas ! », dit-elle. Lubnan rétorque avec humour : « Ils attendent la prochaine qu’ils connaissent certainement! » Petit à petit, les voix s’élèvent dans la nuit.

Viennent ensuite Aatini al Nay wa Ghanni, Ila Biladi, où Soumaya s’adresse aux émigrés : « Revenez, ne leur laissez plus d’excuses », avant de parler aussi à ceux restés ici : « Retournons dans nos villages ». Ce n’est pas un slogan, c’est un appel vibrant qui introduit la chanson Baladi ya baladi, et l’émotion se resserre.

Chaque morceau semble poser une nouvelle brique dans un édifice de mémoire et d’espoir. On entendra Dalida avec Helwa Ya Baladi, reprise une seconde fois à la fin du concert à la demande du public, puis Salma Ya Salama. L’hommage à Oum Kalthoum (Enta Omri) est poignant, porté par la voix limpide de Soumaya, véritable fil d’argent tissé dans la nuit.

Tous deux issus d’une famille d’artistes, formés l’un à Vienne et Bucarest, l’autre au Conservatoire de Beyrouth, Lubnan et Soumaya Baalbaki ont sillonné les grandes scènes du monde, sans jamais perdre ce lien organique à la musique arabe. Lui, chef permanent de l’Orchestre Philharmonique Libanais, ayant dirigé avec souplesse et précision des artistes du gabarit de Marcel Khalifé et Majida El Roumi, elle, chanteuse à la voix puissante et vulnérable, familière des festivals orientaux et des scènes du monde entier, du Japon à l’Opéra du Caire, forment un duo rare, portés par l’émotion. À Bkerzay, chaque chanson s’inscrivait dans un fil, chaque transition était pensée dans une dramaturgie musicale, chaque silence était pesé. Leur complicité se ressentait à chaque note.

Le cadre de Bkerzey n’est pas un décor, mais un partenaire, la scène se fondant dans les collines, dans un dialogue entre l’humain et le paysage. Une légère brise joue avec les sons, la lumière tombe doucement sur les spectateurs, dans un moment partagé et fragile.

Bkerzay en musique continue avec deux événements à ne pas manquer :

Le 22 août – Anthony Adonis & Aziz Maraka

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