ArticlesEvénements
Aujourd'huiCette semaineCe weekend

Pour ne rien manquer de l'actualité culturelle, abonnez-vous à notre newsletter

Retour

Partager sur

single_article

« Scarlet Ruins, Silent Canvases » : l’art transforme la douleur en résilience, et le silence en témoignage.

Art

14/10/2025

 

Au tout début de son parcours de commissaire d’exposition, Maria Mokbel fait déjà preuve d’une remarquable profondeur et sensibilité dans son premier projet, « Scarlet Ruins, Silent Canvases ». Élevée au cœur de la scène artistique libanaise et diplômée de Parsons Paris – The New School, Mokbel crée un espace où la mémoire, le conflit et la création se rejoignent. Son exposition réunit des voix venues de tout le Moyen-Orient pour explorer la manière dont l’art transforme la douleur en résilience et le silence en témoignage.

 

« Scarlet Ruins, Silent Canvases » explore comment le conflit au Moyen-Orient façonne l’expression artistique. Comment votre expérience personnelle, vous qui avez grandi dans le monde de l’art au Liban, a-t-elle influencé votre approche de cette exposition ?

J’ai grandi entourée d’œuvres d’artistes libanais provenant de la collection privée de mon père, Mokbel Art Collection. Depuis mon enfance, et encore aujourd’hui, j’ai eu la chance de rencontrer plusieurs artistes, ce qui m’a beaucoup inspirée. J’ai toujours aimé observer une œuvre et essayer de comprendre l’histoire qu’elle raconte. Cette proximité m’a appris que l’art ne fait pas que refléter le conflit, il le transforme et lui donne un nouveau sens. C’est cette vision qui a guidé toute l’exposition Scarlet Ruins, Silent Canvases.

 

Vous décrivez l’art comme un archive vivante, quelque chose qui porte la mémoire et l’identité à travers les générations. Pouvez-vous nous parler d’une œuvre de l’exposition qui, selon vous, incarne le plus puissamment cette idée ?

Le tableau ‘Départ’ de Paul Guiragossian illustre parfaitement cette idée. On y voit un homme de dos qui semble s’effacer dans les tons bleus et verts du fond, tandis que les femmes autour de lui, aux couleurs vives et contrastées, expriment la douleur de son départ. Ce jeu d’équilibre entre présence et absence est fascinant : même si la figure masculine venait à disparaître, la scène conserve toute sa force, le regard se déplaçant alors vers la femme au centre ou l’enfant en rouge.

 

‘Départ’ dépasse le simple contexte libanais. Il évoque l’exil, la séparation et la force silencieuse de ceux qui restent. C’est une œuvre universelle qui parle de perte, de résilience et d’espoir. Comme les chefs-d’œuvre de la période bleue de Picasso ou Guernica, elle traduit la souffrance humaine avec une profonde sensibilité. Cette peinture, à la fois intime et collective, agit comme une archive vivante : elle garde la mémoire d’un peuple tout en touchant l’expérience humaine dans son ensemble.

 

Nombre des artistes présentés abordent les conséquences de la guerre sans les montrer directement. Comment avez-vous trouvé l’équilibre entre la représentation du traumatisme et la préservation de la dignité dans votre sélection d’œuvres ?

Certaines œuvres représentent la guerre de manière plus directe, comme ‘War in Lebanon’ de Jamil Molaeb (de la collection Mr. and Mrs. Abraham and Manal Karabajakian, Liban), ou encore ‘City Limits’ de Mohamad-Said Baalbaki (Mokbel Art Collection), une toile physiquement marquée par l’explosion de Beirut en 2020 et conservée telle quelle, comme un témoignage du traumatisme collectif. D’autres œuvres, plus symboliques, expriment le silence et la mémoire, comme ‘Al Mulatham’ d’Ayman Baalbaki (from Kalim Bechara Private Collection). Cette œuvre, représentant une figure de résistant masqué par un keffieh rouge et blanc explore les notions d’anonymat et d’identité. Elle traduit une tension entre espoir et désillusion. Le visage caché, les yeux seuls visibles, évoquent à la fois la résistance et la fragilité humaine.

 

J’ai voulu trouver un équilibre entre ces approches pour raconter une histoire complète : la douleur, la perte, mais aussi la résistance et la reconstruction. Chaque œuvre contribue à ce récit collectif sans tomber dans le choc visuel, tout en préservant une profonde dignité.

 

'Al Mulatham', Ayman Baalbaki, tapisserie, 200x 150cm, Kalim Bechara Private Collection


L’exposition remet également en question les récits occidentaux qui ont longtemps marginalisé l’art du Moyen-Orient. À votre avis, quelles étapes restent encore à franchir pour que les artistes de la région soient pleinement reconnus dans la conversation artistique mondiale ?

Pendant longtemps, l’art du Moyen-Orient a été marginalisé dans les récits occidentaux, souvent perçu comme décoratif ou extérieur au canon de l’art moderne. Aujourd’hui, la situation évolue, mais il reste encore beaucoup à faire pour atteindre une véritable reconnaissance.


Il est essentiel que les musées, galeries et institutions culturelles intègrent davantage d’artistes du Moyen-Orient dans leurs expositions et collections, non pas en tant que représentations régionales, mais comme acteurs à part entière de l’art contemporain mondial. La recherche, la traduction et la diffusion des études sur ces artistes doivent aussi être encouragées pour mieux comprendre leurs histoires et leurs contextes.

Enfin, il est important que notre génération et celles à venir découvrent ces artistes à travers des initiatives culturelles, des collaborations internationales et des projets éducatifs ouverts. C’est en créant plus de dialogue entre les cultures que l’on pourra construire une reconnaissance authentique et durable de l’art du Moyen-Orient dans le monde.

 

Vous êtes récemment diplômée de Parsons Paris, qu’est-ce qui vous motive personnellement en tant que commissaire d’exposition, et que souhaitez-vous que les visiteurs retiennent de cette expérience ?

Ce qui me motive avant tout, c’est la capacité de l’art à rassembler les gens et à transmettre des émotions au-delà des mots. À travers Scarlet Ruins, Silent Canvases, je veux créer un espace où chaque visiteur, qu’il soit jeune ou plus âgé, puisse se reconnaître dans les histoires présentées.


Pour la jeune génération, j’espère que cette exposition éveillera la curiosité et l’envie de mieux connaître l’histoire et les artistes du Moyen-Orient. Pour les générations plus âgées, j’aimerais qu’elle ouvre un espace de mémoire et de réflexion, où l’on peut revisiter le passé avec dignité, tout en regardant vers l’avenir.

Mon but est que chacun sorte de cette expérience avec une émotion, un souvenir, ou simplement une nouvelle manière de voir la région et sa richesse artistique.

 

 Pour en savoir plus, cliquez ici



thumbnail-0
thumbnail-1
thumbnail-2
thumbnail-3
thumbnail-0
thumbnail-1
thumbnail-2
0

Depuis 1994, l’Agenda Culturel est la source d’information culturelle au Liban.

© 2025 Agenda Culturel. Tous droits réservés.

Conçu et développé parN IDEA

robert matta logo