Initiative très heureuse et tout aussi émouvante : celle de donner la parole à une grande communauté qui occupe 7 % du territoire du pays et qui pourtant n’a de cesse de réclamer ce qu’on peut exprimer en deux mots : le droit d’exister.
Sur l’initiative de Dr. Antoine Daher, grand militant pour la biodiversité et l’environnement de sa région de Kobeyat (président fondateur de son conseil environnemental), une rencontre conviviale à plusieurs volets s’est tenue à Tawleh, le célèbre restaurant de Souk el Tayeb du non moins défendeur du patrimoine que dirige Kamal Mouzawak. Une alliance qui laissait présager une rencontre mise sous le signe de la biodiversité, des aliments biologiques, de la préservation de la faune et de la flore… Mais qui a aussitôt annoncé ses couleurs dramatiques en dénonçant les « crimes » perpétrés contre toute la région du Akkar.
En première partie Dr. Daher nous a introduit à l’importance et la richesse de la nature dans cette large circonscription du Nord, caractérisée particulièrement par une très grande variété de toutes sortes : arbres, fleurs, plantes, fruits, animaux, climat. Vallées profondes, montagnes surplombant les nuages, plaines à perte de vue se côtoient et favorise une végétation extrêmement diversifiée, la plus grande proportion de variété biologique dans le monde comparativement à sa petite superficie. À cette variété de la nature se superpose une diversité humaine due aux nombreux peuples qui s’y sont réfugiés et parallèlement une variété de religions et de langues, de spécificités culinaires, d’us et de coutumes qui ne relèvent pas du folklore mais sont toujours bien présents auprès de la population.
Cette grande variété du milieu a sécrété des personnages qui deviennent rares à trouver, en totale harmonie avec leur environnement et « qui finissent même par ressembler à la terre qui les a vu naître et qui les nourrit ». En grand amoureux du vivant, Dr. Daher (à qui l’on doit le roman « Vent du Nord » qui raconte un peu cette vie de bergers, parfois nomades) projette des photos expressives où l’humain et la nature ne font plus qu’un. Il déplore toutefois que les traditions se diluent et même sont en voie de disparition, emportant avec eux ces gardiens du patrimoine souvent méprisés mais que les randonneurs nouvelle vague redécouvrent en revenant vers la Nature.
Pour ponctuer ces propos : deux témoignages de jeunes qui sont retournés volontairement vivre sur la terre de leurs origines et deux micro-documentaires, l’un sur une journée dans la vie d’une habitante dans sa ferme du Akkar et un autre sur les beautés de la région que les occupants sont heureux de côtoyer. Suffisamment expressifs pour que Aalya Hazeem et Thomas Michael nous donnent envie d’aller goûter aux spécialités « akkaouies » qui se préparaient à l’arrière de la salle.
Jusque-là tout est beau au Liban-Nord. Paysages idylliques, biodiversité époustouflante, bergers et fermiers heureux de leur symbiose avec la terre nourricière, etc. Mais les choses se gâtent quand deux militantes pour la préservation de toute cette richesse des 770 km2 peuplés par 165 000 habitants lèvent le voile sur les exactions, irrégularités, aberrations autour de cette richesse naturelle ignorée, spoliée, détruite consciemment et dans le mépris total des autorités.
Dans leur exposé, Tala Alaeddine, coordinatrice du Studio des Travaux publics et Saada Allaw, Chef du département de journalisme à l’Agenda légal, exposent le désastre et les appels au secours incessants des « Akkaouis » pour arrêter ne serait-ce que les incendies ravageurs qu’aucune mesure n’est prise pour contenir, les éteindre ou arrêter les pyromanes criminels… (par pure démagogie en vue des élections?)

Le problème proviendrait d’une irrégularité voulue, non déclarée et surtout non résolue. À savoir que la plupart des terrains du Akkar ne sont pas inscrits au cadastre de l’État. Délimitées par exemple au Sud par une forêt, au Nord par un cours d’eau, à l’Est et au Sud par tel ou tel voisin, les propriétés n’étant pas inscrites au régime foncier, peuvent profiter de ce flou pour empiéter sur le domaine de l’Etat… Seules cinq régions des 200 recensées seraient délimitées, le reste soit 94 % des terrains ne le seraient pas.
Conséquences de cette négligence assassine : Pas de planification, pas d’inscription au régime foncier, sans permis de construction ou d’exploitation légales (seul le maire délivrerait une vague attestation), des constructions arbitraires, pas de limites, pas de frontières, d’incessantes luttes entre habitants, groupes armés et tribus, des superficies entières squattées, des notables qui s’arrogent des droits et… des feux de forêt incendiaires pour défricher (dans notre exemple) la frontière Sud de la propriété et l’annexer !
À ce problème se grefferait un autre, celui de l’eau potable qui manque gravement malgré les nombreuses sources de la région et bien que les plaines du Akkar aient été classées lors d’une mesure inusitée de planification en 2009, comme sources d’approvisionnement agricoles à préserver au même titre que son littoral, très riche écosystème marin.
Cette débandade se cristallise également sur les carrières sauvages qui dénaturent le paysage, polluent la région et détruisent reliefs, faune, flore et chassent les habitants de leurs demeures. 700 camions transportant du gravier par jour sillonneraient les routes de Kobeyat créant un désastre sanitaire que confirme un taux énorme de cancers. La présence massive des carrières assèche les cours d’eau dans les plaines forçant le pompage des puits cartésiens, creusés au niveau de la mer. Salinisée, l’eau ne convient pas à l’arrosage des plantations qui doivent se rabattre sur les fosses septiques (!)

Dans une démarche de dé-responsabilisation les autorités se cacheraient derrière l’argument de conflit entre les communautés, chrétiennes à Kobeyat et Jaafaristes ailleurs. Un argument difficile à retenir puisque les deux communautés souffrent des mêmes maux.
Le plus tragique demeure l’inaccessibilité des zones de carrière soupçonnées d’être extrêmement polluantes. Ni le ministère de la Santé et encore moins le Mohafez du Akkar n'iraient sur les lieux pour en avoir le cœur net, de peur de devoir dénoncer les cartels corrompus, protégés par encore plus d’entités corrompues, laissant la région à son sort.
Les carrières laissent derrière elles de la suie, de la poussière et un tableau de désolation. Les gens prennent la fuite. Un projet à peine larvé d’expulsion massive ?
