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4/8/2020 : Soula Saad

DOSSIER

07/08/2025

Le 4 août 2020 à 16h, je sors d’un déjeuner à Baabda pour me rendre à un rendez-vous professionnel à Gemmayze/Mar Mikhaël, lorsqu’une conversation à l’entrée de l’immeuble, entre le concierge et un chauffeur furieux, m’informe qu’une manifestation bloque la route et que le trajet de 20 minutes lui avait pris 2 heures depuis l’EDL.
Je texte immédiatement à mon rendez-vous pour lui demander de remettre au lendemain notre rencontre de 18h, et me redirige vers chez moi, dans les collines.

Deux heures plus tard, depuis mon balcon où j’étais sortie fumer une cigarette, j’ai vu, comme dans un film, un énorme champignon, suivi d’un souffle invisible, rendu visible un instant, qui a traversé toute la ville.
Ensuite seulement, j’en ai ressenti le souffle dans mon ventre, comme un coup de poing violent du vent…
Et seulement après, je l’ai entendu.

Un vacarme effrayant, de fin du monde, qui s’écroulait.
L’explosion du port a détruit en un instant un tiers de la ville,
et fait éclater toutes les portes et fenêtres de Beyrouth.

Ici, on dit que lorsqu’un verre se casse : "Nkassar el charr", littéralement : "le mal s’est cassé".
Il s’est, j’espère, cassé pour de bon ce jour-là.

Aucune explosion, en 50 ans de guerre, n’avait explosé toutes les vitres, les portes et fenêtres de la ville.
Silence. Non-réaction de l’État. Sidération, effroi, émoi. État de choc.


Quelles ont été les conséquences de l’explosion pour vous, sur le moment, dans les semaines, les mois et les années qui ont suivi ?

Dans les jours et mois qui ont suivi la destruction de la ville en 2020, et la non-réaction de l’État, un élan d’empathie, de compassion, de volonté d’aider ceux abandonnés à eux-mêmes pour faire face à un tel désastre, s’est manifesté. Aider à se relever.

Du milieu des décombres d’un quartier ravagé et de 300 000 foyers détruits, c’est pourtant là que, pour la première fois, j’ai rencontré un élan d’empathie plurielle à grande échelle,
et j’ai décidé de rester pour documenter « l’élan de solidarité du peuple libanais dans les heures les plus sombres » exprimant l’espoir que cette même unité permettra d’atteindre justice, reconstruction et renaissance.

Face à eux, une population meurtrie, expulsée en un instant hors de chez elle.
L’urgence de témoigner, de porter à l’écran ces moments tendus et déchirants, m’a plongée pendant 14 mois dans l’univers des chantiers, dans les décombres d’une ville inanimée.

14 mois qui m’ont profondément bouleversée. Avant ça, j’avais une idée de la générosité et du sens de l’accueil des Libanais,
mais je n’avais pas perçu toute l’humanité qui se dégage des habitants de ces quartiers
dont le tissu social est encore authentique et à une échelle humaine.

Loin des drames outranciers, j’ai voulu capter l’intensité des échanges et la force des silences.
Témoigner de la puissance de la solidarité, de l’enthousiasme contagieux de jeunes gens mobilisés, balais en main, dont la résilience joyeuse, multipliée par le nombre ayant répondu à l’appel des ONG, m’a révélé notre ressource la plus importante.

Au milieu des cendres, des milliers de jeunes s’affairent à nettoyer les débris, aider les plus vulnérables, dépanner, accueillir, soigner.

Des étincelles de solidarité, de bénévolat, et de joie de donner…

Témoigner du travail de l’ombre de jeunes gens venus de partout,
donnant d’eux-mêmes au quotidien, pendant 14 mois.
900 000 heures pour aider d’autres âmes en peine à se relever et faire face, à mains nues, à une des plus grandes explosions de son histoire déjà mouvementée.

Le pari réussi de la transformation de deux quartiers en havres de solidarité et de solutions créatives.

Un hommage à la sobriété et à l’efficacité d’une jeunesse, qui, loin d’être blindée, s’est mobilisée, et a organisé au milieu du chaos un chantier de tous les possibles, sans argent.


Cinq ans plus tard, que ressentez-vous ? Que voulez-vous dire ?

Cinq ans après l’explosion du port, le pari est gagné pour les premières phases de reconstruction et de restauration.

Je viens de compléter un film, fait à chaud, dans l’élan de générosité du moment.
Un besoin irrépressible de raconter cette histoire qui m’a transportée au-delà de la triste réalité,
avec l’espoir de transporter les autres à mon tour :
“It Takes a Lot of Hands – Healing Beirut”, ou en français :
“Ma Ville aux Murs Incertains”.

Ma caméra m’a conduite au cœur de la misère humaine, en feignant de ne pas la montrer,
focalisant le fil de l’histoire sur la renaissance de deux quartiers.

Un tour de force qui repose aussi sur la bande sonore habitée de plusieurs voix :
musiciennes, compositeurs, compositrices libanais, que je vous invite à venir écouter,
et dont voilà déjà un échantillon !


L’avant-première ciné-concert est prévue au mois d’août.
Suivez-nous sur @ittakeslotofhandshealingbeirut sur Instagram pour plus de détails.
Vous pouvez déjà précommander votre CD ou playlist et vous inscrire pour recevoir une invitation.


Mais si, ce 4 août 2025, la justice ne pointe pas le bout de son nez…
Comment imaginer un pays où cela ne se répétera plus ?

 
Voir la bande d'annonce : @ittakeslotofhandshealingbeirut

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