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4/8/2020 : Carol Khouzami

DOSSIER

04/08/2025

Le 4 août 2020 a commencé comme une journée quelconque de travail en temps de COVID, c’est-à-dire depuis chez moi, rue d’Arménie, à 800 mètres à vol d’oiseau du port...

Évidemment, je me rappelle parfaitement tous les détails de ce jour.

Je me rappelle que nous avions un webinar que j’avais organisé pour le compte de l’institution pour laquelle je travaille, en collaboration avec l’Association des Banques, à destination d’un secteur financier en pleine débandade, dix mois après le début de la crise. En plus de moi, deux autres intervenants, dont Me Paul Morcos — aujourd’hui ministre de l’Information — y participaient.

Je me rappelle aussi que la femme de ménage de mes parents était venue chez moi ce jour-là pour faire le ménage — ce qu’elle faisait de temps en temps pendant le COVID — et j’étais heureuse comme un enfant que ma maison soit redevenue propre et agréable.

Je me rappelle que mon amie Dima était venue de Dubaï et s’était installée à l’hôtel Al Bustan pour une semaine, par précaution, avant de rejoindre la maison familiale. On s’était donné rendez-vous pour un massage au spa du Al Bustan à 19h15. Mon plan était de partir de la maison à 18h30. Pour une raison quelconque — mon petit ange protecteur, peut-être, qui m’a soufflé l’idée — j’ai décidé à 17h55 de partir plus tôt pour profiter du jardin du Al Bustan et de l’air frais.

Je me rappelle avoir pensé, en fermant la porte de mon appartement derrière moi, que ce serait chouette de revenir dans un appartement propre et rangé (mhafhaf).

Je vous passe les multiples détails dont je me rappelle : les voisins croisés en sortant, à qui j’ai lancé un « à demain » ; ou encore mon amie qui habitait au 8e étage de l’immeuble Bernard Khoury à Mar Mikhaël, et qui m’a appelée deux minutes avant l’explosion pour me dire qu’elle entendait un bruit inquiétant et qu’elle avait peur pour ses enfants et ses neveux. Elle voulait venir avec tout son petit monde chez moi, mais j’étais déjà en route...

Et soudainement, alors que j’étais en voiture vers la fin de la rue d’Arménie : l’explosion. Je me rappelle que ma voiture a calé et que l’airbag droit s’est déclenché.

Je me rappelle qu’en une seconde, le chaos s’est installé. La rue autour de moi s’est remplie d’habitants des immeubles, tous précipités dehors tels qu’ils étaient, parfois ensanglantés, tous paniqués.

Je me rappelle avoir été prise de panique moi-même, sortant et rentrant frénétiquement dans la voiture en hurlant en arabe : « Mais c’est quoi ? Mais c’est quoi ? »

Là aussi, je vous passe les multiples détails et étapes de mon chemin vers la maison de mes parents à Achrafieh, et de la nuit qui a suivi. Inoubliable.

Je me rappelle ne pas avoir vu la vidéo de l’explosion avant tard dans la nuit, que j’ai passée chez mes parents. D’ailleurs, je n’ai compris que mon appartement — dans lequel j’avais emménagé en août 2018 — était lourdement détruit que lorsque ma voisine du troisième étage m’a donné des nouvelles de son propre appartement, tard dans la nuit. J’ai découvert l’ampleur des dégâts de Mar Mikhaël, de mon immeuble et de mon appartement le lendemain à 6h du matin.

Je me rappelle très bien les deux sentiments qui ont prévalu après une semaine de larmes :

1. Une dissociation émotionnelle radicale entre moi et les événements qui s’étaient produits. C’est comme si une partie de moi observait, de l’extérieur, la résidente de cet appartement — c’est-à-dire moi-même — se débattre pendant les six mois suivants pour reconstruire son lieu de vie, sans que je ressente vraiment ce qu’elle vivait. Je ne me sentais pas impliquée émotionnellement, comme si je regardais quelqu’un d’autre traverser cette épreuve. Il m’a fallu 14 mois pour me reconnecter avec moi-même et verser à nouveau des larmes. Et une année passée à l’étranger pour sortir enfin du burnout qui avait suivi cette période de déconnexion intérieure.

2. Un sentiment de trahison et de confiance perdue. Malgré les nombreuses guerres et assassinats que nous, Libanais, avons connus depuis des décennies, jamais l’État libanais lui-même n’avait sciemment manqué aussi gravement à son obligation de protéger ses citoyens. Cinq ans plus tard, j’en suis encore là. Je ne décolère pas.


Pour conclure sur un souvenir positif de ce 4 août 2020, ainsi que des jours et mois qui ont suivi, je me rappellerai toujours la merveilleuse entraide entre amis, famille, voisins, ou simplement entre humains. Je pense surtout à ces groupes de jeunes qui se sont portés volontaires pour déblayer les appartements et les cages d’escalier des immeubles. Qu’aurais-je fait sans eux ? Qu’ils soient bénis à jamais, et que les responsables — libanais ou étrangers — qui ont provoqué ou facilité ce drame soient maudits pour toujours.

Que toutes les âmes perdues ce 4 août 2020 reposent en paix à jamais, et que celles encore vivantes, mais blessées dans leur chair ou dans leur âme, trouvent un jour la paix.


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