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‘Les passeurs de livres de Daraya’ de Delphine Minoui ou les armes d’instruction massive face à la répression sanguinaire en Syrie
De la guerre en Syrie, le téléspectateur/lecteur lambda ne retient que deux puissances en opposition : celle de Bachar al-Assad et celle de Daech. Pourtant une voie/voix rebelle a été à l’origine de l’insurrection pacifique du départ contre un régime totalitaire. Réprimée par le sang par l’un, puis phagocytée par les autres, cette révolution désormais orpheline a été contrainte à survivre par ses propres moyens avant de capituler sous la puissance des feux qui s’abattaient sur elle. Delphine Minoui* nous livre un témoignage essentiel et bouleversant sur ‘Les passeurs de livres de Daraya’, ville syrienne rebelle, où une bibliothèque secrète et souterraine a vu le jour pour doper le moral de jeunes gens à qui on avait ôté tout droit à la vie et à l’espoir.
C'est une histoire de résistance édifiante, celle de jeunes Syriens de Daraya, ville rebelle en lisière de Damas assiégée par le régime de Bachar al-Assad, qui ont exhumé des livres des décombres des maisons bombardées pour créer une bibliothèque clandestine. Dephine Minoui a réussi à entrer en contact avec ces jeunes Syriens. De leurs conversations croisées est né un ouvrage poignant qui restera un témoignage essentiel et capital dans cette guerre qui a été si pervertie qu’on en a presqu’oublié que des jeunes gens aspirant à la démocratie et à la liberté ne sont pas forcément des terroristes, amalgame pourtant si récurrent…
De 2012 à 2016, la banlieue rebelle de Daraya a subi un siège implacable imposé par Damas. Quatre années de descente aux enfers, rythmées par les bombardements au baril d'explosifs, les attaques au gaz chimique, la soumission par la faim. Face à la violence du régime de Bachar al-Assad, une quarantaine de jeunes révolutionnaires syriens a fait le pari insolite de déterrer des milliers d'ouvrages ensevelis sous les ruines pour les rassembler dans une bibliothèque calfeutrée dans un sous-sol de la ville. Leur résistance par les livres est une allégorie : celle du refus absolu de toute forme de domination politique, culturelle ou religieuse. Delphine Minoui, via Skype et WhatsApp, a pu établir et garder le contact avec les membres fondateurs du groupe : Ustez, (le professeur) le mentor des plus jeunes, Omar, le combattant, Ahmad, un des bibliothécaires, et Shadi, le vidéaste. Elle a en quelque sorte été leur unique bouffée d’oxygène vers un extérieur libre durant les quatre années de siège. Des bombes, des ruines, des livres récupérés, stockés, installés dans une cave protégée et ouverte à tous. La petite bibliothèque est une bulle de savoir dans une ville martyrisée…
Une lueur d’espoir au cœur d’une ville assiégée.
(…) ‘’Ahmad est l'un des cofondateurs de cette agora souterraine. À travers les mailles d'une mauvaise connexion internet, unique lucarne sur le monde extérieur, il me raconte sa ville dévastée, les maisons en ruine, le feu et la poussière, et dans tout ce fracas les milliers d'ouvrages sauvés des décombres et rassemblés dans ce refuge de papier auquel tous les habitants ont accès. Des heures durant, il évoque en détail ce projet de sauvetage du patrimoine culturel, né sur les cendres d'une cité insoumise. Puis il me parle des bombardements incessants. Des ventres qui se vident. Des soupes de feuilles pour conjurer la faim. Et de toutes ces lectures effrénées pour se nourrir l'esprit. Face aux bombes, la bibliothèque est leur forteresse dérobée. Les livres, leurs armes d'instruction massive’’. (…)
Avec, en toile de fond cette bibliothèque secrète, l’ouvrage nous éclaire sur le quotidien terrifiant des habitants de Daraya. On accompagne, non sans appréhension et oppression, les combattants rebelles durant les années de résistance, jusqu'à l'évacuation totale en été 2016, laissant un champ de ruines. Pour ceux qui se demandent si certains d'entre eux n’ont pas été tentés par le djihad, les jeunes gens qui ont été interrogés par Delphine Minoui affirment que ça l’a été pour certains (désespoir oblige), mais que la raison l'avait vite emporté. Mieux encore, faisant fi de sa propre situation, l’un d’eux envoie, au lendemain des attentats du Bataclan, un émouvant message à l'auteur pour assurer la France de son/leur soutien.
(…) ‘’Ahmad vit sous une pluie de bombes. Il a perdu tant d'amis, n'a pas vu sa famille depuis quatre ans. À Daraya, son quotidien est une montagne d'urgences. Il a pourtant pris le temps de rédiger ce message, de partager sa compassion.
Un terroriste ne s'excuse pas.
Un terroriste ne pleure pas les morts.
Un terroriste ne cite pas - Amélie Poulain- et Victor Hugo.’’ (…)
‘Les passeurs de livres de Daraya’ est un ouvrage à la fois lumineux, sombre et culpabilisant qui vous prend aux tripes. Avec le travail remarquablement fouillé de l’auteur, en sus d’une guerre méga médiatisée sur les réseaux sociaux, personne ne pourra plus jamais dire ‘’on ne savait pas’’. Ce récit demeurera - pour les générations à venir - la preuve irréfutable de la lutte que des jeunes Syriens ont menée pour préserver un minimum de leur dignité, alors que les droits les plus élémentaires de ces hommes étaient foulés du pied jusqu’à finir par être enterrés, au fin fond d’un charnier, avec les milliers de corps de femmes, d’enfants et d’hommes fauchés sans pitié par une machine de guerre tentaculaire !
Bélinda Ibrahim
* Qui est Delphine Minoui ?
Delphine Minoui est grand reporter au Figaro, spécialiste du Moyen-Orient. Prix Albert Londres 2006 pour ses reportages en Iran et en Irak, elle sillonne le monde arabo-musulman depuis 20 ans. Après Téhéran, Beyrouth et Le Caire, elle vit aujourd'hui à Istanbul, où elle continue à suivre de près l'actualité syrienne. Elle est également l'auteur des ‘Pintades à Téhéran’ (Jacob-Duvernet), de ‘Moi, Nojoud, dix ans, divorcée’ (Michel Lafon), de ‘Tripoliwood’ (Grasset) et de ‘Je vous écris de Téhéran’ (Seuil).
C'est une histoire de résistance édifiante, celle de jeunes Syriens de Daraya, ville rebelle en lisière de Damas assiégée par le régime de Bachar al-Assad, qui ont exhumé des livres des décombres des maisons bombardées pour créer une bibliothèque clandestine. Dephine Minoui a réussi à entrer en contact avec ces jeunes Syriens. De leurs conversations croisées est né un ouvrage poignant qui restera un témoignage essentiel et capital dans cette guerre qui a été si pervertie qu’on en a presqu’oublié que des jeunes gens aspirant à la démocratie et à la liberté ne sont pas forcément des terroristes, amalgame pourtant si récurrent…
De 2012 à 2016, la banlieue rebelle de Daraya a subi un siège implacable imposé par Damas. Quatre années de descente aux enfers, rythmées par les bombardements au baril d'explosifs, les attaques au gaz chimique, la soumission par la faim. Face à la violence du régime de Bachar al-Assad, une quarantaine de jeunes révolutionnaires syriens a fait le pari insolite de déterrer des milliers d'ouvrages ensevelis sous les ruines pour les rassembler dans une bibliothèque calfeutrée dans un sous-sol de la ville. Leur résistance par les livres est une allégorie : celle du refus absolu de toute forme de domination politique, culturelle ou religieuse. Delphine Minoui, via Skype et WhatsApp, a pu établir et garder le contact avec les membres fondateurs du groupe : Ustez, (le professeur) le mentor des plus jeunes, Omar, le combattant, Ahmad, un des bibliothécaires, et Shadi, le vidéaste. Elle a en quelque sorte été leur unique bouffée d’oxygène vers un extérieur libre durant les quatre années de siège. Des bombes, des ruines, des livres récupérés, stockés, installés dans une cave protégée et ouverte à tous. La petite bibliothèque est une bulle de savoir dans une ville martyrisée…
Une lueur d’espoir au cœur d’une ville assiégée.
(…) ‘’Ahmad est l'un des cofondateurs de cette agora souterraine. À travers les mailles d'une mauvaise connexion internet, unique lucarne sur le monde extérieur, il me raconte sa ville dévastée, les maisons en ruine, le feu et la poussière, et dans tout ce fracas les milliers d'ouvrages sauvés des décombres et rassemblés dans ce refuge de papier auquel tous les habitants ont accès. Des heures durant, il évoque en détail ce projet de sauvetage du patrimoine culturel, né sur les cendres d'une cité insoumise. Puis il me parle des bombardements incessants. Des ventres qui se vident. Des soupes de feuilles pour conjurer la faim. Et de toutes ces lectures effrénées pour se nourrir l'esprit. Face aux bombes, la bibliothèque est leur forteresse dérobée. Les livres, leurs armes d'instruction massive’’. (…)
Avec, en toile de fond cette bibliothèque secrète, l’ouvrage nous éclaire sur le quotidien terrifiant des habitants de Daraya. On accompagne, non sans appréhension et oppression, les combattants rebelles durant les années de résistance, jusqu'à l'évacuation totale en été 2016, laissant un champ de ruines. Pour ceux qui se demandent si certains d'entre eux n’ont pas été tentés par le djihad, les jeunes gens qui ont été interrogés par Delphine Minoui affirment que ça l’a été pour certains (désespoir oblige), mais que la raison l'avait vite emporté. Mieux encore, faisant fi de sa propre situation, l’un d’eux envoie, au lendemain des attentats du Bataclan, un émouvant message à l'auteur pour assurer la France de son/leur soutien.
(…) ‘’Ahmad vit sous une pluie de bombes. Il a perdu tant d'amis, n'a pas vu sa famille depuis quatre ans. À Daraya, son quotidien est une montagne d'urgences. Il a pourtant pris le temps de rédiger ce message, de partager sa compassion.
Un terroriste ne s'excuse pas.
Un terroriste ne pleure pas les morts.
Un terroriste ne cite pas - Amélie Poulain- et Victor Hugo.’’ (…)
‘Les passeurs de livres de Daraya’ est un ouvrage à la fois lumineux, sombre et culpabilisant qui vous prend aux tripes. Avec le travail remarquablement fouillé de l’auteur, en sus d’une guerre méga médiatisée sur les réseaux sociaux, personne ne pourra plus jamais dire ‘’on ne savait pas’’. Ce récit demeurera - pour les générations à venir - la preuve irréfutable de la lutte que des jeunes Syriens ont menée pour préserver un minimum de leur dignité, alors que les droits les plus élémentaires de ces hommes étaient foulés du pied jusqu’à finir par être enterrés, au fin fond d’un charnier, avec les milliers de corps de femmes, d’enfants et d’hommes fauchés sans pitié par une machine de guerre tentaculaire !
Bélinda Ibrahim
* Qui est Delphine Minoui ?
Delphine Minoui est grand reporter au Figaro, spécialiste du Moyen-Orient. Prix Albert Londres 2006 pour ses reportages en Iran et en Irak, elle sillonne le monde arabo-musulman depuis 20 ans. Après Téhéran, Beyrouth et Le Caire, elle vit aujourd'hui à Istanbul, où elle continue à suivre de près l'actualité syrienne. Elle est également l'auteur des ‘Pintades à Téhéran’ (Jacob-Duvernet), de ‘Moi, Nojoud, dix ans, divorcée’ (Michel Lafon), de ‘Tripoliwood’ (Grasset) et de ‘Je vous écris de Téhéran’ (Seuil).
[Photo :© Ammar Abd Rabbo]


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