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Walid Aouni : “On transforme la diaspora libanaise en mode publicitaire”

La diaspora est une richesse culturelle pour le Liban.
Faire connaitre certaines figures artistiques auprès du public libanais, c’est les attacher encore plus à la mère patrie.
L’Agenda Culturel rencontre certains de ces artistes, nés ou originaires du Liban, vivant au Brésil, en Colombie, au Canada, en France…
Quelle image ont-ils du Liban ? Comment intègrent-ils dans leur création à la fois leurs origines, leur vision actuelle relative à une autre société ?
Chorégraphe de renom, Walid Aouni est une figure centrale de l’Opéra du Caire. Entre Bruxelles où il finalisait un grand projet et le Caire où il présentait la première de sa dernière création, il a trouvé le temps, la nuit, de répondre aux questions de l’Agenda Culturel. Et, à juste titre, il ne mâche pas ses mots.
Quels liens continuez-vous de nouer avec votre pays d’origine ?
On ne peut renier la mère patrie où on est né, surtout le Liban, et par là, j’entends sa terre seulement, même si on a voyagé et on s’en est éloigné pour diverses raisons. D’abord la guerre et la politique, ensuite, je le dis aujourd’hui, le déclin culturel et social influencé par le système politique, mais aussi en raison de l’adage “nul n’est prophète en son pays”.
J’ai quitté le Liban avant la guerre, en 1972, pour entrer de plain-pied dans un nouvel univers, ce qui revient à dire que la cause de mon départ ne découle pas de la guerre, mais d’une envie de découvrir le monde des arts dans les plus grandes villes d’Europe. En bref, j’ai rencontré là-bas les plus grandes personnalités artistiques internationales, dont Maurice Béjart, le peintre Delvaux, et tant d’autres.
J’ai étudié 7 ans à l’Académie royale des beaux-arts de Bruxelles, et je suis devenu chorégraphe de danse contemporaine, avant de créer la première troupe de danse-théâtre moderne, nommé d’après la déesse phénicienne ‘Tanit Danse-Théâtre’.
Malgré tout cela, je n’ai pas oublié le Liban, ni mes racines, et la relation spirituelle avec le pays existe toujours, même si 45 ans se sont écoulés depuis mon départ. Ma première création à Bruxelles, intitulée ‘Numéro 9’, tournait autour de la guerre libanaise, neuf ans après la guerre, mais aussi autour de Gibran Khalil Gibran et sa correspondance avec Mary Haskell, ainsi que sa rencontre à Paris avec le sculpteur libanais Youssef Howayek. Ma relation avec le Liban est toujours une nécessité spirituelle... mais non patriotique, même si je suis fier de mes racines, que le Liban est toujours à portée d’esprit et que j’y fais allusion dans la plupart des spectacles que je présente.
On parle souvent de l’exemple libanais (diversité, respect des différences...). Qu’en pensez-vous ? Est-ce une juste une belle idée ou une réalité ?
Le Libanais, où qu’il aille est très fier de son appartenance, et récolte toujours le respect pour ses qualités particulières et son niveau artistique et professionnel. Pour moi, que ce soit à Bruxelles, au Japon, aux Etats-Unis ou en Egypte, il m’arrive la même chose en tant que Libanais qui a sa place et ses idées. Mais je crois que le Liban, ou plus justement les médias libanais, en tirent une fierté plus qu’il ne le faut. Dans le sens où ils ne traitent pas en profondeur nos sujets, mais nous transforment en une mode d’écriture et de publicité, puis ils nous mettent sur l’étagère.
Oui, c’est une idée médiatique qui peut être à l’avantage de beaucoup d’artistes vivant à l’étranger, mais elle nuit à d’autres artistes libanais exilés. Au final, je crois que c’est une réalité car le Libanais ne change pas et continue à se croire un phénix !
Quel regard critique portez-vous sur la culture au Liban, arts, littératures, danse, design ?
L’évolution culturelle et artistique au Liban connait des hauts et des bas, plutôt des bas en fonction de l’année qui s’écoule. La télévision et les programmes de divertissement copiés des versions américaines sont en tête du classement et constituent la plus grande partie de notre culture. Nous vivons l’ère de la chanson à succès ou décadente, depuis plus de 15 ans ! Les médias télévisés sont l’opium du peuple. En parallèle, nous assistons à une invasion des spectacles comiques de critique politique et sociale au cachet purement libanais qui se distinguent par une ironie de mauvais goût, et se dégradent alors toutes les qualités de l’art pur, authentique et évolué. On reste ainsi au seuil de l’ironie et des programmes qui s’affairent à désigner celui qui gagne ! Celui qui est le meilleur ! Celui qui est un génie ! Le plus important est le gagnant de la première place seulement ! C’est ce que vivent le Libanais et tous les pays arabes, et qui se prête à tant d’explications.
Pour quelle raison avez-vous quitté le Liban et aspirez-vous à revenir un jour ?
Comme je l’ai mentionné, j’ai quitté le Liban avant la guerre, non pour quitter le pays, mais pour découvrir dès mon jeune âge de nouvelles cultures et d’autres arts. Je suis resté une période de 20 ans en Belgique et 23 ans au Caire, entrecoupée de séjours au Japon et aux Etats-Unis. Je suis venu au Liban en 1980, pendant la guerre, avec mon groupe Tanit et j’ai présenté mon travail au théâtre Picadilly, à l’AUB, au Bustan, au Casino et à Tripoli. Et, depuis, je ne suis plus revenu. La télévision et la presse m’ont soutenu tout au long, mais personne jusqu’à présent ne m’a invité à présenter mon travail à Beyrouth, même pas les festivals. Alors on m’a oublié, malgré les promesses répétées des dizaines de fois et le fait qu’on soit venu assister à mes performances à l’Opéra du Caire, et que mes spectacles aient été présentés dans les plus grandes villes du monde, que ce soit aux Etats-Unis, en Chine, au Japon, en Europe, et dans tous les pays arabes. Je ne crois pas qu’actuellement je désire revenir au Liban pour un motif patriotique ou en raison de mes racines. C’est au Liban de m’inviter de manière professionnelle et respectueuse, comme tout directeur international à l’étranger.
Croyez-vous que la diaspora a un rôle à jouer au Liban? Et quel serait le vôtre ?
L’artiste libanais doit avoir un rôle au Liban, qu’il soit culturel, artistique, scientifique, littéraire ou autres... Mais là, je voudrais attirer l’attention sur un point : il y a de très grands artistes, sans mentionner de noms, qui ne sont pas intéressés de retourner au Liban ou d’y avoir un rôle, mais qui en même temps appartiennent par leur âme au Liban.
En ce qui me concerne, comme je l’ai déjà dit, j’appartiens spirituellement au Liban. Et je le dis toujours : “mon identité relève du pays qui m’ouvre ses portes pour créer et qui apprécie mon art”. La Belgique et l’Egypte en particulier m’ont ouvert grand les battants en me disant “travaille” Actuellement, j’ai une proposition d’un pays du Golfe pour m’y installer et travailler. Quant au Liban, il me tend son petit doigt seulement !
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