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Toufic Farroukh : Le Liban, “un pays qu’on aime jusqu'à se consumer”

La diaspora est une richesse culturelle pour le Liban.
Faire connaitre certaines figures artistiques auprès du public libanais, c’est les attacher encore plus à la mère patrie.
L’Agenda Culturel rencontre certains de ces artistes, nés ou originaires du Liban, vivant au Brésil, en Colombie, au Canada, en France…
Quelle image ont-ils du Liban ? Comment intègrent-ils dans leur création à la fois leurs origines, leur vision actuelle relative à une autre société ?
Saxophoniste, compositeur et producteur, Toufic Farroukh quitte son Liban natal en 1984 pour étudier à l’École normale de musique de Paris où il est définitivement installé. ‘Ali On Broadway’, ‘Little Secrets’, ‘Drab Zeen’, ‘Tootya’, ‘Cinema Beyrouth’, ‘Villes invisibles’, parallèlement à ses albums, il compose également des musiques de films et des musiques pour des spectacles de danse contemporaine. Il répond au questionnaire de l’Agenda Culturel.
La diaspora libanaise est le plus souvent intégrée, mais reste attachée au Liban, qu’en est-il pour vous ?
Le mot diaspora ne me fait ni chaud ni froid, car je n’en fais pas partie !
Si on s’interroge sur les processus d’intégration des immigrés dans une société, on constate qu’ils sont obligés de renoncer à une partie de leur culture d’origine pour assimiler des nouveaux éléments spécifiques au pays d’accueil... En revanche, faire de même à propos de l’intégration des enfants d’immigrés ne présente pas le même caractère d’évidence. Ces enfants ont, en effet, en commun avec tous les autres nés sur le territoire d’avoir fréquenté le même système scolaire. Ils sont d’emblée partie prenante de la société qui les a vus naître.
Beyrouth, la ville où je suis née… Il y plane cette étrange humeur, une étrange ambiance, qui fait son charme ! La relation avec ma ville est de cet ordre-là, “Je t’aime moi non plus”, et ce qui peut paraître simple devient compliqué.
Pour quelle raison avez-vous quitté le Liban, et aspirez-vous à revenir un jour ?
La relation entre Beyrouth et moi s’est tissée de manière plutôt chaotique. Peu après l’invasion israélienne de 1982, j’ai quitté la capitale libanaise pour faire mes études de musique à Paris. Par la suite, j’ai entretenu avec elle l’une de ces liaisons paradoxales, à la fois intenses et distendues. Dans mon regard, Beyrouth apparaît sous les traits d’une "énigme tragique". Elle peut être aussi perçue comme une sorte de diva à la fois généreuse et exigeante, prête à accueillir ses anciens enfants pour mieux les vampiriser, les rudoyer, voire les rejeter.
La difficulté au Liban, c'est qu'on n'a pas encore eu le temps de se retourner sur la période de la guerre… Et on en paye le prix… Plein de gens veulent partir, même ceux qui adorent ce pays, car il y a une difficulté réelle à être là-bas, à y vivre !
Si l'exil provoque la douleur de la distance, la distance est aussi parfois nécessaire à la libération de la parole, à la liberté du regard.
Est-ce l’illusion du retour ? Il y a évidemment la ville du souvenir, et la ville d’aujourd’hui. Cette ville n’est plus la mienne, ou ne l’est pas encore. Selon moi, elle reste à être réinventée…
On parle souvent de l’exemple libanais (diversité / respect des différences...). Qu’en pensez-vous ?
Le Liban et ses caprices, sa confusion, ce pays où l’on trouve tout, du chaos, de la religion, la guerre et même les affaires. C’est un pays qui peut tout te prendre et ne rien te donner en retour... Néanmoins, je ne peux qu’encourager à aller découvrir ce pays accueillant et multiculturel, où il est bon de se laisser gagner par ce mélange d'Orient et d'Occident sur l'un des rivages les plus attachants de la Méditerranée.
Un pays qui séduit, un pays qu’on aime jusqu'à se consumer.
Est-ce une belle idée ou une réalité ? Il semblerait que la guerre, en chacun de nous, continue silencieusement ses ravages, probablement à cause de ce va-et-vient constant entre temps de guerre et temps de paix, avec cette omniprésence menaçante du conflit quand tout semble revenu à la normale. Un pays qui ne semble trouver son identité que dans la pérennité !
Croyez-vous que la diaspora a un rôle à jouer au Liban ?
La diaspora, qu’elle soit mesurée à partir du degré de participation au marché du travail ou des autres formes de participation à la vie sociale, apparaît comme un processus qui prend du temps, non seulement à l’échelle des individus, mais également aussi, collectivement, à l’échelle des générations. En somme, la diaspora a toujours un rôle actif à jouer...
Quelle place occupe le Liban dans votre processus de création ?
De la même façon que des sons et des vibrations peuvent se répondre et s’harmoniser dans le cœur d’une ville et forger son identité. Il en va de même que des images, des voix ou des parfums peuvent se fondre et faire écho dans la mémoire d’un homme, et fonder son être même.
Quand j’ai écrit l’album ‘Cinéma Beyrouth’ en 2010, tout un réseau de correspondances et de passages dérobés, de thèmes et de variations, de mélodies et de rythmes, se sont ainsi tissés au sein de cet album, et lui donne son organisation profonde, une cohésion interne. C’est une véritable conversation intime entre un homme et sa ville natale, magnifiée par le recours à une instrumentation subtilement pensée et pesée. Une conversation émaillée d’instants de tendresse et d’éclats, de moments d’abandon et d’élans lyriques, qui transcrit avec une remarquable clarté de ton, la complexité de notre histoire commune.
Parlez-vous l’arabe avec votre entourage ?
Avec ma petite famille, et dans mes rêves...
Au fil des générations, même si les langues d’origine se transmettent, elles disparaissent rapidement au profit du français, langue de socialisation.
Propos recueillis par Nayla Rached
[Photo : © Charles Cremona]
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