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Nelson Latif : ‘‘Le vrai Liban est encore plus intéressant que celui de mon imaginaire !’’

La diaspora est une richesse culturelle pour le Liban.
Faire connaitre certaines figures artistiques auprès du public libanais, c’est les attacher encore plus à la mère patrie.
L’Agenda Culturel rencontre certains de ces artistes, nés ou originaires du Liban, vivant au Brésil, en Colombie, au Canada, en France…
Quelle image ont-ils du Liban ? Comment intègrent-ils dans leur création à la fois leurs origines, leur vision actuelle relative à une autre société ?
Compositeur de créations originales aux influences multiples, le guitariste Nelson Latif sillonne le monde, ambassadeur et vulgarisateur passionné de l’incroyable diversité musicale du Brésil. Il revient pour l’Agenda Culturel sur l'histoire de ses aïeux libanais, sa relation intime au Liban, réel ou fantasmé et le rôle de la diaspora.
Quel est votre univers musical et quelles sont vos sources d’inspiration ?
J’ai grandi une guitare à la main, j’ai étudié la guitare classique, tout en écoutant beaucoup de folk brésilien, la musique préférée de mes parents. Plus tard, j’ai été séduit par le jazz, et toutes ses possibilités d’improvisation. Mon bagage musical fusionne toutes sortes de genres musicaux qui florissaient à São Paulo dans les années 1980 : rock, punk ou baroque…et bien sûr le choro, qui mêle rythmiques afro-brésiliennes et mélodies européennes à l’image de la société brésilienne si profondément métissée.
Mes origines libanaises, m’ont aussi exposé, dès l’enfance, à la musique orientale. Nous écoutions Fayrouz et dansions la dabké lors de nos fêtes familiales. Ce sont ces mélodies, fortes et répétitives qui, inconsciemment, m’ont inspiré lorsque j’ai commencé à composer. Dans ‘Al-Madina’, morceau écrit en hommage à mes grands-parents, j’ai ainsi tenté de reproduire la sonorité magique du oud oriental sur la guitare classique. Les musiques traditionnelles brésiliennes m’émerveillent toujours autant, elles sont pour moi une inépuisable source créative et mon instrument de prédilection reste le cavaquinho.
Vos grands-parents ont grandi au Nord du Liban…
Côté paternel, Latif Fakhouri et Emeline Merheb Fakhouri, étaient de Miniara, près de Tripoli. Ils sont arrivés au Brésil vers la fin des années 1930, à l’âge de 18 et 14 ans, et ils étaient déjà mariés ! Ils ont commencé leur carrière comme commerçants en textile et l’ont fini dans l’industrie du bâtiment. Les difficultés économiques ont certainement poussé les jeunes à partir au loin mais, en écoutant mes aïeux raconter leur histoire et leurs aventures, j’ai toujours senti qu’il y avait derrière ce choix d’émigrer autre chose que la simple quête d’une vie meilleure. Ils venaient de familles bien établies… Je crois qu’en décidant de quitter leur pays natal, n’emportant que leurs économies et l’espoir de leurs proches, ils répondaient aussi à un appel qui résonnait en leur âme de voyageur. Rejoindre la diaspora a toujours été motivé, selon moi, par le désir d’accomplir un destin, désir enfoui, je crois, au tréfonds de l’imaginaire des Libanais. Du côté maternel, mon grand-père venait de Syrie et ma grand-mère était originaire de Hasbaya.

Quel est l’héritage culturel que votre famille vous a transmis ?
Les émigrés maronites ont très vite assimilé les coutumes brésiliennes. Mais, par intense nostalgie du Liban, mes grands-parents m’ont donné de leur pays natal l’image idyllique d’un paradis merveilleux. A l’école on me surnommait le “Turc” et j’ai grandi en étant fier d’être Arabe et spécialement Libanais, sans savoir au juste ce que cette identité signifiait. Aujourd’hui encore, je m’interroge d’ailleurs sur l’origine de ce sentiment d’appartenance…Quelque soit le pays où l’on vit, la langue que l’on parle ou la religion que l’on pratique, je pense que c’est d’abord le résultat des valeurs léguées par l’entourage.
Hormis l’héritage culinaire - la gastronomie libanaise reste pour moi la meilleure cuisine au monde ! - j’ai pu observer que tous les descendants de Libanais – tout au moins ceux qui ont grandi dans des familles soucieuses de préserver des aspects traditionnels de leur culture - sont des gens communicatifs, curieux, réceptifs, gais, prompts à tisser de solides réseaux personnels et professionnels.
Quel rapport – lien réel ou imaginaire - avez-vous gardé avec le Liban et sa culture ?
Le Liban m’habite d’abord émotionnellement ; je l’associe à la joie des réunions de familles dominicales, à la gastronomie, à musicalité de la langue arabe que parlaient les ainés. Puis, lorsque j’ai visité le Liban pour la première fois, il y a dix ans, je me suis immédiatement senti chez moi, tout à fait à l’aise. L’image d’un pays solide, qui a survécu à tant d’invasions et de guerres, en dépit de toutes ses divisions sociales, confessionnelles est alors venue se superposer à celle forgée par mes valeureux ancêtres et par les héros des romans de Jorge Amado… J’ai alors réalisé que le vrai Liban était en fait encore plus intéressant que le Liban de mon imaginaire!
Et avec la langue arabe ?
Mes grands-parents parlaient en portugais à leurs enfants, n’utilisant l’arabe qu’entre eux. C’est pourquoi ma génération ne le parle plus. C’est une de mes grandes frustrations. Mais je n’ai pas perdu espoir de l’apprendre un jour !
Croyez-vous que la diaspora libanaise ait un rôle à jouer dans le rayonnement culturel du Liban d’aujourd’hui ?
Les Libanais sont partout dans le monde. Attachés à leurs traditions, ils imposent leurs idées et leur créativité partout où ils s’installent. Leur moteur est leurs rêves, rien de commun avec la migration tragique de réfugiés errant sans espoir de retour. Je pense que les Libanais de la diaspora proposent des modes de vie différents qui influencent en retour la société libanaise. Selon moi, leurs centaines de ”success stories” ont contribué à façonner le Liban contemporain.
Quand projetez-vous de revenir au Liban?
Les Libanais ont influencé la culture brésilienne. Nous aimerions en retour diffuser un peu de notre culture brésilienne au Liban. Un projet est à l’étude pour 2017. Nos deux pays partagent une histoire commune. Rapprocher nos cultures permettrait d’affermir nos liens.
Propos recueillis par Cécile Massoud
[Photos : © Arkady Mitnik]
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L’Agenda Culturel tient à remercier le centre culturel libano-brésilien, Brasiliban, et tout spécialement sa directrice Najua Kamel Bazzi, pour sa collaboration sur le dossier ‘Diaspora culturelle libanaise’ et la prise de contact avec les artistes brésiliens d’origine libanaise.

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