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Roberto Khatlab : ‘‘la diaspora est une grande richesse pour le Liban’’

La diaspora est une richesse culturelle pour le Liban.
Faire connaitre certaines figures artistiques auprès du public libanais, c’est les attacher encore plus à la mère patrie.
L’Agenda Culturel rencontre certains de ces artistes, nés ou originaires du Liban, vivant au Brésil, en Colombie, au Canada, en France…
Quelle image ont-ils du Liban ? Comment intègrent-ils dans leur création à la fois leurs origines, leur vision actuelle relative à une autre société ?
Né au Brésil, Roberto Khatlab, est libanais d’origine, détenteur de la nationalité libanaise et réside actuellement au Liban. Chercheur et écrivain dans le domaine de l’histoire et des relations entre l’Amérique Latine et le Liban, - religions et émigration libanaise - il est directeur du Centre des études et cultures de l’Amérique latine à l’Université Saint-Esprit de Kaslik. Il a plusieurs écrits à son actif sur la diaspora dont, en langue française, ‘Les Libanais dans le monde, vision socio-culturelle et historique’, aux éditions Dar Saer al-Mashrek (Liban 2012).
L’Agenda Culturel a voulu connaître son point de vue sur la diaspora libanaise, son importance aux niveaux politique, économique et culturel, et les perspectives d’avenir.
‘‘La diaspora est une grande richesse pour le Liban, affirme d’emblée Robert Khatlab, mais elle est encore mal exploitée, vu l’absence d’un plan de travail de base continu’’.
On assiste toutefois ces dernières années à une nette ouverture du Liban en direction de la diaspora. Cette ouverture a-t-elle donné des fruits ?
Au cours des derniers années, le congrès ‘Potentiel de la diaspora libanaise’ (Lebanese Energy Diaspora - LDE), organisé annuellement dès 2013 par le ministre des Affaires étrangères et des émigrés, Gibran Bassil, a permis une grande ouverture vers la diaspora et particulièrement vers l’Amérique latine. En plus du congrès à São Paulo, le ministre Bassil a effectué ces dernières années plusieurs visites officielles dans divers pays d’Amérique latine. Certes, il est tôt de parler des fruits de ces rencontres. Mais ce qui compte c’est que le congrès a favorisé une ouverture et des contacts entre les Libanais et la diaspora. Les relations entre le Liban et les pays d’immigration qui ont une grande communauté libanaise se sont renforcées et de nouveaux accords sont signés dans tous les domaines. Sur le plan social, ces rencontres donnent naissance à de nouveaux contacts et à des relations profondes qui, par leur persévérance, pourront être fructueux pour le Liban et pour les pays d’accueil.

En tant que directeur du Centre des études et cultures de l’Amérique latine à l’Université Saint-Esprit de Kaslik (Cecal-Usek), avez-vous établi un plan d'action en vue de renforcer les liens avec la diaspora ?
Le centre a été créé en 2010 et nous pouvons dire que c’est le premier et unique centre du genre au Moyen-Orient. Le Cecal est un centre pluridisciplinaire ouvert à tous les domaines – culturel, scientifique, politique, économique, commercial, sportif, des sciences sociales et humaines… Il a pour objectif d’être un lieu d’échanges et une plateforme de coopération, un pont entre l’Usek-Liban, et l’Amérique latine. Il a été créé pour faire mieux connaître l’Amérique latine et ses potentialités aux jeunes étudiants, dans le but de favoriser les contacts entre les deux régions. Notre plan d’action commence par introduire les richesses de l’Amérique latine, sa culture, son économie, son commerce... ainsi que la grande diaspora libanaise qui y réside et qui est parfois peu connue au Moyen-Orient. Dans ce but, le Cecal a déjà organisé 5 congrès portant sur le Moyen-Orient et l’Amérique latine à l’Usek, avec des professeurs des deux régions compétents en plusieurs domaines. Des congrès ont également été organisés dans des pays de l’Amérique latine portant sur le Liban et le Moyen-Orient, entre autres, au Brésil, en Argentine et en Colombie. Ces rencontres ont reflété un fort intérêt de la part des étudiants du Liban et des pays latino-américains (les actes des congrès ont été publiés par les Publications de l’Usek) et nous réalisons des échanges d’étudiants et de professeurs. Les objectifs ont été basés sur un plan universitaire pour que les jeunes étudiants puissent découvrir les moyens de fortifier les contacts, la possibilité de travailler ensemble... Dans cette perspective, il était nécessaire de former un cadre de personnes pour que les projets soient réalisés de manière professionnelle, sans se limiter à parler de nostalgie ou de faire des discours, qui certes sont nécessaires, mais non suffisants pour donner les résultats escomptés… le développement des relations dans tous les domaines et le savoir-faire.
Parlez-nous du projet de Conservation du patrimoine libanais de la diaspora en Amérique latine.
Le Cecal, avec la Bibliothèque de l’Usek, a créé le projet de ‘Conservation du patrimoine libanais de la diaspora en Amérique latine’, dans le but de former une bibliothèque internationale numérique avec des archives (journaux, revues, documents, photos…) de la diaspora libanaise en Amérique latine publiées dès la fin du XIXe siècle. Le projet a déjà été lancé en Argentine.
Votre action se limite-t-elle au monde latino ?
Oui, l’activité du CECAL se limite à l’Amérique latine qui constitue déjà une région très vaste où est concentrée la plus grande diaspora libanaise dans le monde.
Dans le passé les émigrés se plaignaient que le seul intérêt qu'ils suscitaient était les requêtes financières. Cette image a-t-elle changé ?
Cette image existe moins qu’avant mais elle persiste toujours, vu que beaucoup de Libanais ont présenté, à titre privé, plusieurs projets à la diaspora, en demandant des aides financières alors que très peu de ces projets ont été réalisés. A un certain moment, les fils de la diaspora se sentaient comme une ‘‘carte de crédit’’… N’empêche, que beaucoup d’entre eux sont disposés à aider le Liban de façon davantage constructive et favorable au développement d’ensemble du pays du Cèdre.
Quel rôle devrait jouer la diaspora au Liban ?
Premièrement, cette diaspora doit se sentir comme partie intégrante du Liban, non seulement en exprimant de la nostalgie pour son origine, ou par des discours…, mais en faisant partie de la société libanaise, avec toutes ses composantes et différences. C’est à ce moment qu’à mon avis il deviendra plus facile pour la diaspora d’avoir le rôle d’investisseur. Il faut surtout encourager les Libanais de la seconde et troisième génération de la diaspora à visiter le Liban à bien le connaître et leur présenter des projets valables et réalistes favorables au développement du pays.
Comment favoriser les échanges culturels ? Les chantiers à développer dans ce domaine de façon concrète ?
Pour mieux être connu, un pays doit s’investir dans la divulgation de sa culture, dans le tourisme... Malheureusement, le Liban s’y investit peu particulièrement en langue portugaise et espagnole, langue des pays où se trouve la plus grande diaspora libanaise. Bien sûr on comprend les difficultés inhérentes au Liban, mais, aujourd’hui, grâce à Internet et aux réseaux sociaux, le pays est mieux connu en général et au cours des dernières années, le ministère du Tourisme, notamment le ministre Michel Pharaon, s’est investi dans cette démarche et a créé le programme ‘Ana’ (www.ana-lebanon.com), favorisant la venue des Libanais d’outre-mer au Liban. Il a ainsi traduit la brochure en langue portugaise et celle-ci a été présentée aux Libanais pendant le congrès à São Paulo en 2016.
Que pensez-vous du projet de réserver des sièges parlementaires à des représentants de la diaspora ?
Cette initiative serait très intéressante et, à mon avis, importante pour renforcer encore les relations entre le Liban et la diaspora, comme d’autres pays l’ont déjà fait et pour tout ce que la diaspora représente au plan socio-économique, à travers les transferts au Liban qui sont considérables.
Est-ce qu’on connaît le nombre des Libanais de la diaspora ?
Le nombre de Libanais dans la diaspora est toujours estimatif, parce qu’il n’y a aucun recensement là-dessus. Les Libanais et leurs descendants de par le monde sont estimés entre 12 et 15 millions.

Quid de leur répartition géographique ?
La majorité de ces Libanais se trouve en Amérique Latine (Brésil : 6 millions, Argentine : 1,5 million…). Pour cela, le Liban devrait s’intéresser davantage à cette région longtemps délaissée du fait des conflits internes au Liban. Il est indispensable et urgent d’établir des contacts, sinon toute relation avec les générations futures disparaîtra.
Quelles sont les principales vagues d'émigration dans l'histoire du Liban et leurs principales causes ?
Les causes de l’émigration résultent toujours de questions économiques, politiques et religieuses, et nous pouvons, grosso modo, diviser cette émigration vers l’Amérique latine en trois grandes vagues.
Une première vague de 1880 à 1900 : les pionniers ont vécu plusieurs expériences et aventures dramatiques et leurs histoires ont couvert de grandes pages de la littérature du ‘mahjar’. Ils étaient surtout de jeunes célibataires qui, en arrivant en Amérique latine, ont trouvé un peuple hospitalier qui leur a permis de se sentir chez eux.
Une deuxième vague de 1900 à 1950 : dans cette seconde phase, l’émigration libanaise est devenue mieux structurée. Au cours des deux grandes guerres mondiales, le Liban a traversé l’une des plus sombres pages de son histoire et a connu la famine, les maladies contagieuses, les disputes politico-religieuses et le blocus maritime.
Une troisième vague a commencé en 1975, avec la guerre civile au Liban. Après 1975, on estime à près d’un million les Libanais qui ont dû quitter le pays, s’installant à travers tous les continents, dont l’Amérique latine. À partir de 1991, après la guerre, environ 820 000 Libanais ont également quitté le Liban. Après 1995, avec le ralentissement économique et le chômage, a débuté une nouvelle émigration comprenant en grande partie des personnes qualifiées.
Quels sont les impacts de l’émigration ?
L’émigration a laissé des marques négatives profondes au Liban, lui faisant perdre des potentialités, des talents et des ressources humaines capables de produire une richesse permanente dans le pays. En contrepartie, il y a eu des points positifs, notamment les fonds envoyés par les émigrés à leurs familles restées au Liban. Cet afflux de capitaux continue encore de jouer un grand rôle dans l’économie libanaise. Les migrants libanais ont parallèlement participé et participent encore activement au développement des pays d’accueil. Ils ont certes connu des difficultés, mais les ont surmontées. Aujourd’hui, ils font partie intégrante des sociétés d’accueil et leurs enfants, qui ont fréquenté les écoles et les universités, sont devenus influents sur tous les plans : social, culturel, économique et politique. En Amérique latine, en un peu plus de cent ans, ils sont passés du statut de Libanais à celui de Brésiliens, d’Argentins, de Colombiens… d’origine libanaise. Mais ils ont gardé leurs racines nationales.
Propos recueillis par Nelly Helou
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