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Maryanne Zéhil : ‘‘Vues’’ d’ailleurs

La diaspora est une richesse culturelle pour le Liban.
Faire connaitre certaines figures artistiques auprès du public libanais, c’est les attacher encore plus à la mère patrie.
L’Agenda Culturel rencontre certains de ces artistes, nés ou originaires du Liban, vivant au Brésil, en Colombie, au Canada, en France…
Quelle image ont-ils du Liban ? Comment intègrent-ils dans leur création à la fois leurs origines, leur vision actuelle relative à une autre société ?
Son étoile brille dans le monde si exigeant du cinéma. Couronnée de succès, reconnue à l’internationale, Maryanne Zéhil est l’auteure de trois longs métrages joués et assistés par de grands noms du septième art.
‘‘Je vous attendais pour mon deuxième café’’. Celle qui m’avait donné rendez-vous chez elle (‘‘nous serons plus à l’aise’’) a le sourire accueillant et l’abord généreux. Nul doute que cette jeune femme installée depuis plus de 20 ans au Québec est demeurée résolument libanaise dans l’âme.
Son nom n’est pas inconnu du public libanais. Pendant longtemps c’est elle qui se chargeait des reportages de l’émission très prisée à la LBC, ’El chater yehkeh’. Le programme était toujours lancé par un reportage de Maryanne. Sa carrière se poursuivit avec plusieurs documentaires pour la France, mais c’est à Montréal, où elle a choisi de s’établir, qu’elle s’est consacrée aux longs métrages. Une consécration totale puisqu’elle cumule trois professions qui ne se chevauchent absolument pas, mais qu’elle assume pleinement, seule.
Quelle est sa potion magique pour réussir à être à la fois scénariste, réalisatrice et productrice ? Un sourire éclaire son minois de brunette : ‘‘beaucoup, beaucoup de travail, de l’énergie, de la concentration, savoir bien s’entourer...’’ Et cela lui réussit parfaitement quand on voit le résultat exceptionnel, les acteurs célèbres qu’elle dirige (Marc Labrèche, Pascale Bussières), les grands noms de ces collaborateurs (Dominique Fortin qui a monté un James Bond, le photographe réputé Pierre Mignot, Sylvie de Grand pré, la directrice de production qui a fait plus de 100 films dont un avec Fellini…) En une dizaine d’années, la Canado-Libanaise qui a abattu le travail de vingt personnes peut être fière d’avoir à son actif trois longs métrages qui ont fait le tour du monde : ‘De ma fenêtre sans maison’ en 2006, ‘La vallée des larmes’, en 2012 et ‘L’autre côté de novembre’, en 2015. Très bien reçus par le public, les médias et les festivals qui leur ont fait des places de choix dans leur programmation, dont des soirées de clôture, ces films-ponts entre l’Orient et l’Occident attestent du talent de la fougueuse et passionnée jeune femme.
Une véritable pro, ‘‘spéciale’’ comme on la trouve dans son pays qui lui est cher mais sur lequel elle pose un regard critique : ‘‘Le Liban est très conservateur. Tout le monde est pareil. Les Libanais prennent la diversité et l’ouverture d’esprit pour acquise, mais ils sont fermés. Dans le domaine de la culture, s’il y a une ouverture, elle est ostracisée. Elle est toujours un peu superficielle. C’est beaucoup la mode, les designers qui occupent l’espace public. La plupart des médias parlent d’argent et d’économie. L’image de la femme au Liban est triste…’’
La directrice des Productions Mia au regard incisif sur la société qui l’a vue grandir a pourtant tourné tous ses films au Liban : ‘‘C’est ma source d’inspiration. Chaque fois que je veux écrire, c’est vers le Liban que je me tourne’’. Se sent-elle investie d’un rôle d’ambassadrice ? ’’Je suis ambassadrice de l’humanisme dans le monde… et de ce que je suis : forcément libanaise. Mais je ne sens pas le devoir de parler précisément du Liban. Sauf que depuis le 11-Septembre, je crois que je peux raconter à l’Occident, un autre point de vue. Par contre, le contraire est plus difficile pour moi. L’aspect politique prend rapidement le dessus. Soit on envie celui qui vit à l’étranger, soit on lui en veut. Je comprends qu’on puisse en vouloir à l’Occident pour la guerre. Mais moi, je suis libérée de cette haine, parce que je ne la subis pas. J’avais beaucoup de colère et de tristesse en moi, mais au bout d’une dizaine d’années, j’ai fait la paix avec ça’’.
Dans son premier film ’De ma fenêtre sans maison’ il s’agit d’une femme libanaise qui quitte sa fille de 4 ans pour vivre sa féminité au Québec. A contrario, aurait-elle envie, elle, de retourner un jour au Liban ? ‘‘Je ne pourrai pas. Et ce n’est pas l’envie qui me manque. La montagne et les pins surtout me manquent, mais quand je pense que les chasseurs tuent les oiseaux sous les fenêtres et les balcons, cela me décourage à jamais’’. Et du point de vue cinématographique ? ‘‘L’État ou les financiers privés qui subventionnent le cinéma ne veulent pas investir dans la culture. Ils veulent faire un film qui fasse des millions. L’argent est le seul moteur. Or dans le cinéma, on construit des liens à long terme. Il n’y a pas de structure pour ça au Liban. En général, le cinéma n’est pas pris au sérieux. On ne le considère pas comme un vecteur de culture’’.
‘L’autre côté de novembre’ (avec Arsinée Khanjian, femme et muse d’Atom Egoyan – réalisateur canadien brillant à qui l’on doit entre autres le film ‘Ararat’ sur le génocide arménien), son dernier film donc raconte ce qui serait advenue à une femme selon le destin qu’elle aurait eu : celui d’une femme qui a émigré et celui de celle qui serait restée au pays. Comment se positionne-t-elle dans cette dualité d’identité ? ‘‘La culture libanaise est le socle de mon œuvre. J’aurais bien aimé m’en défaire, mais inconsciemment, malgré moi, le Liban est toujours sur la ‘’map’’ de ma vie’’. Le public libanais pourra le constater lui-même, avec bonheur et fierté, sur ses écrans beyrouthins (avril 2017).
Gisèle Kayata Eid
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