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Hady Zaccak : l’historien de la mémoire

C’est un cinéaste qui n’éclabousse pas. Modeste et posé, il est de ces personnages qui s’incrustent en vous par la justesse de son regard, la sensibilité de sa caméra et la profondeur de ses thèmes.

Simple et authentique, le jeune enseignant qui nous reçoit entre un cours et un autre dans son bureau à l’IESAV est à l’image de sa longue filmographie : un réalisateur engagé. Non pas dans la révolution ou la rébellion, mais dans le souci de sauvegarder ce que rien ni personne ne se soucie de conserver.

À l’heure où le patrimoine est saccagé, les livres d’histoire tronqués, le passé renié, l’historien du souvenir prend sa caméra pour fixer à jamais ce que les autres oublient, ignorent ou dédaignent. ’’J’ai commencé très jeune, à 22 ans, avec un livre sur l’histoire du cinéma. Mais c’est le cinéma qui m’a retenu. Je pouvais y utiliser l’écriture, la caméra, le son, la musique’’.

C’est que le jeune Zaccak a beaucoup de choses à exprimer et le documentaire s’est avéré être une synthèse de tout ce qu’il aime. Et ce qui plaît à ce jeune qui ’’fait partie de la génération de la guerre terminée avec une volonté de vouloir effacer ses traces’’ c’est de ’’lutter contre l’oubli et préserver ce qui reste de l’Histoire. Quand je regarde par la fenêtre, je vois que tout se transforme et disparaît. On vieillit très vite dans cette ville où on est témoin de lieux qui sont éliminés rapidement’’. Et d’ajouter très calmement : ’’Je suis anxieux, c’est ma façon de vivre dans ce pays et de lutter contre l’effacement et la disparition de tout’’.

C’est cette problématique qu’honore le Beirut Art Film Festival (BAFF) qui projettera plusieurs documentaires qui ravivent le patrimoine, dont certains ont été tournés en tout début de carrière. ’’Ils ont pris des rides, mais ils racontent l’histoire du Liban. En fait, je travaille depuis 20 ans sur une filmographie homogène qui s’interroge sur le pays et la région. C’est comme si je filme la même maison, mais à chaque fois je rentre soit par la porte, soit par la fenêtre, soit par la cheminée. Cela demande un très long travail de recherche, souvent centré sur un intérêt personnel, mais qui a rapport avec la ville ou l’Histoire. On m’a d’ailleurs comparé à un archéologue’’.

Au BAFF donc, le 17 novembre, Hady Zaccak sera présent au Metropolis à la projection de six documentaires qui relatent l’histoire du cinéma à travers ses pionniers, le regard des cinéastes sur le Liban ou celui de quelques intellectuels sur les métamorphoses de Beyrouth… Deux autres longs métrages seront à l’affiche qui attestent sept, huit ans plus tard, de l’évolution de Zaccak qui garde toujours le même centre d’intérêt et la même motivation, mais avec des moyens plus maîtrisés, ’’Dans ‘Une leçon d’histoire’ (2010), - le 17 novembre - je filme les élèves de brevet de cinq écoles du Grand Beyrouth, qui ont pour la première fois à faire avec l’histoire de leur pays, qui s’arrête en 1943 et qui est déjà en soi un élément significatif. À travers eux, je retrace toutes les contradictions de la société’’.

C’est à partir de scènes reconstituées, d’archives privées, d’agences de télé, de news qu’il écrit, qu’il retrace à travers les voitures, dans le film ‘Marcedes’ (2011) - voir programme du BAFF - le Liban des années 50 jusqu’à aujourd’hui : ’’Je vais même jusqu’en 2020 en imaginant ce que cela va être’’. Un travail de recherche étalée sur quatre ans. Ce qu’exige la durée moyenne de ses documentaires qu’il articule de façon à laisser les gens réfléchir, à partir du point de vue qu’il expose.

C’est dans cet état d’esprit, avec cette quête incessante de la vérité qu’il a réalisé, en 2015, un portrait philosophique et spirituel de Kamal Joumblatt qui couvre toute l’histoire contemporaine du Liban jusqu’à son assassinat en 1977.
… Alors qu’il filmait, depuis déjà 20 ans, sa grand-mère dont il nous livre le processus de vieillissement dans ‘Ya Omri’ sorti en 2017. Ce documentaire, qui vient d’obtenir le prix du jury à Malmö en suède et qui sera projeté, en décembre, à Montréal, dans le cadre des Rendez-vous du cinéma libanais de Montréal, ‘Ya Omri’ aborde le rapport du vieillissement et de la mémoire ’’… ou ce qu’il en reste ! Car quand j’ai commencé à filmer ma grand-mère qui avait à l’époque 83 ans, elle était éveillée. Mais avec les années, il y a eu permutation de rôle. Enfant, c’est elle qui me racontait des histoires, mais à 103 ans, c’est moi qui lui apprenais des choses. Ainsi quand je lui ai dit un jour qu’elle avait 102 ans, elle m’a rétorqué : ‘mais comment j’ai 102 ans et je suis encore en vie ?’ Je lui ai raconté son histoire à elle, comment elle est venue du Brésil, ses premiers amours… Elle en était très surprise mais très intéressée. C’est que pendant 20 ans, je retournais sur la même histoire, je la filmais, je prenais des notes, j’enregistrais sa voix. À travers un travail sur la mémoire personnelle, il y a toute notre mémoire qui ressurgit. Dans la quarantaine, j’avais déjà assez de réfléchir sur la vie’’.

La grand-mère de Hady Zaccak est morte à l’âge de 104 ans, mais demeure bien vivace et productif, ce conservateur de notre patrimoine, toutes acceptations confondues, qui tente de rejoindre l’universel à partir du particulier. Avec une visibilité internationale, une participation régulière aux festivals, des projections et des conférences mondiales, ce cinéaste amoureux du cinéma depuis l’âge de 14 ans, interpelle et fait réfléchir ( sur les problèmes d’identité en Écosse, avec ‘Une leçon d’histoire’ ou en Inde, où les réfugiés du Tibet et du Pakistan se sont retrouvés dans son documentaire sur la Palestine… )

Un réalisateur, cinéaste et producteur à la fois, qui n’attend pas que l’Etat trouve le temps de s’intéresser au cinéma - ’’Je ne suis pas le seul, c’est le cas de tous les réalisateurs’’ - qui a ouvert sa propre boîte de production, Zac, avec une directrice de la photo, un ingénieur du son, un monteur et un musicien compositeur, soit une ’’structure légère’’ qui lui permet en attendant l’argent, de lancer des projets. Son prochain porte sur une ville du Liban et qui a rapport avec l’Histoire… On s’y attendait… et on l’attend !

Gisèle Kayata Eid

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