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ON THE OTHER SIDE OF TIME de Nayla Romanos Iliya

02/12/2021|Jorge Ballif

Pouvez-vous vous présenter pour nos lecteurs qui ne vous connaissent peut-être pas ? 

Libanaise, architecte de formation; j’ai signé de nombreuses réalisations variées dans le domaine, incluant des projets d’architecture d’intérieur, de rénovation, d’architecture et de design. 

J’ai quitté le Liban vers la fin de la guerre civile et j’ai vécu à Paris, puis à Londres, Hong Kong et Dubaï. Durant cette période, j’ai eu l’opportunité de beaucoup voyager, m’imprégnant de l’art et de la culture des destinations que je visitais. 

Très vite, je développe un grand intérêt pour l’art, mais ce n’est qu’en 2011 que je crée mes premières sculptures, et c’est le coup de foudre instantané. J’aborde la sculpture par le biais de ma pratique architecturale, remplaçant la fonction par intuition et émotions, un processus qui s’avère libérateur et thérapeutique, d’où la décision de me consacrer entièrement à cet art.

 

Qu’est-ce qui vous a amené à vous lancer dans ce projet d’installation ? 

Une heureuse coïncidence. J’ai connu père Antoine Assaf, curé de la paroisse de l’église Saint Elie à Kantari, il y a de longues années. Au fil du temps, nous nous sommes parfois perdus de vus puis retrouvés; ce fut le cas alors que je venais de dévoiler une sculpture monumentale devant l’hôtel Gray à Beyrouth. Il me propose donc d’exposer une ou plusieurs de mes œuvres à côté de l’église; une visite s’impose, et c’est ainsi que mon regard s’est posé sur la place publique adjacente à l’église. Je suggère une installation créée spécifiquement pour l’endroit, offrant ma contribution pour la création et le suivi du projet, mais il fallait trouver un financement pour sa réalisation, ce qui fut possible grâce à un mécène généreux et anonyme. Restait l’obtention des divers permis: Solidere, municipalité et gouvernorat de Beyrouth, ministère de l’intérieur, un véritable parcours du combattant, facilité par le support indéfectible de la paroisse Saint Elie. Et de conclure que c’est donc d’une collaboration heureuse entre trois protagonistes que le projet est né!

 

Parlez-nous de ON THE OTHER SIDE OF TIME, en quoi est-elle inspirée de la Divine Comédie de Dante ? 

La conception de ON THE OTHER SIDE OF TIME est basée sur des références de la Divine Comédie, transposant tant le symbolisme que la structure du poème par le biais de formes, éléments et nombres tels qu’imaginés et décrits par Dante. L'installation comprend trois parties, une pour chaque volume du poème, à savoir l’Enfer, le Purgatoire et le Paradis, formant une composition où proportions, organisation spatiale et choix de matériaux contribuent à illustrer les attributs que le poète associe avec les trois mondes de l’au-delà.

 

L'enfer est représenté par une structure hermétique en Corten -acier à l’aspect rouillé- portant la fameuse inscription qui saluait les pécheurs impénitents à sa porte: « Abandonnez tout espoir, vous qui entrez », car, selon Dante, ils y seront punis de leurs vices pour l’éternité. A l’intérieur de la structure, un vide créé par la superposition des neuf cercles décroissants attribués aux différentes catégories de péché prend la forme d’un entonnoir, tout comme l’abîme créé par la chute de Lucifer sur la terre, formant donc l’Enfer tel que relaté dans le poème.

 

A son tour, l'abîme de l'Enfer a déplacé la terre de l'autre côté de la planète, créant le Purgatoire, image inversée de l'Enfer, et qui prend donc la forme d’une montagne composée de terrasses circulaires, que les âmes repentantes peinent à gravir petit à petit. Dans l'installation, le purgatoire est éclaté: des cylindres en béton de proportions égales aux vides de la structure symbolisant l’Enfer l’entourent, occupant l’espace du square et encourageant à interagir avec l'œuvre.

 

Le Paradis, dernière partie du voyage de Dante, est dépeint comme une collection de neuf sphères célestes où résident les âmes bienheureuses, passant de l'une à l'autre autre dans leur cheminement vers l'Empyrée – demeure de Dieu – immobile et intangible. Sur la place, une monumentale et dynamique composition de neuf anneaux en acier brossé s'élève du sol, culminant avec un grand cercle en acier miroir se fondant avec tout ce qui l’entoure et se lovant dans le ciel.

 

Y a-t-il une symbolique particulière derrière le choix du lieu de l’installation, en face de l’église Saint Elie à Minet El Hosn ?

Je répondrais plutôt que c’est le lieu qui m’a choisi ! Comme mentionné ci-dessus, ça a été un concours de circonstances, et le hasard a très bien fait les choses, car l’espace m’a tout de suite parlé. 

Adjacente à l’église Saint Elie, la place est donc son extension naturelle vers l’extérieur, mais aussi un lieu ou passants et employés des immeubles voisins venaient à se poser un moment, malgré le manque de facilités.

De plus, l'attrait du site est profondément lié à son emplacement chargé d’émotions, sur un carrefour au cœur de Beyrouth, facilement accessible depuis les quartiers "Est" et "Ouest", étiquettes couramment utilisées pendant la guerre civile libanaise, mais toujours considérées comme pertinentes par une partie de la population du pays aujourd'hui.

 

Y a-t-il un parallèle à faire entre la portée symbolique de cette installation et la situation du pays du Cèdre ?

Absolument! Ma réponse va bien au-delà : c’est essentiellement la situation désastreuse que nous vivons au Liban aujourd’hui, ainsi que la spécificité de la place et le besoin de se réapproprier les espaces publics, qui m’ont porté à faire ce choix. J’ai toujours été fascinée par la Divine Comédie de Dante; mais c’est en la revisitant récemment que j’ai été frappée par sa pertinence au temps et au lieu où l’on se retrouve, au pays du Cèdre, sept siècles plus tard.

 

ON THE OTHER SIDE OF TIME reprend donc les thème universels et inclusifs de cette épopée, mettant en évidence le combat contemporain entre les mondes matériel et spirituel, la bataille permanente entre le mal et le bien. C’est donc une allégorie du voyage de l'homme à travers la vie, les yeux fixés sur son salut, conscient tant des conséquences du péché que des gloires du Ciel. Les châtiments éternels ou la rédemption puis le salut.

 

Le Liban vit un effondrement économique et social sans précédent à cause de décennies de corruption, de négligence et de trahison, restées impunies. Pour Dante, les pécheurs impénitents qui ont commis des actes si répréhensibles se trouvent dans les cercles les plus bas de « l’Enfer », subissant des punitions terribles en rapport avec leurs crimes, non seulement à cause de leurs actes mêmes mais aussi et surtout pour les conséquences de ces actes sur autrui et sur la société. 

 

Et de conclure sur une note d’espoir, rappelant que la Divine Comédie est intitulée comédie car elle célèbre le triomphe du salut. Attendons voir.

 

© Wael Khoury
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