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“J'ai noué avec votre pays un pacte secret qui m'est si particulier que je ne saurais bien l'exprimer”, Stéphane Olivié Bisson

26/10/2020|Josyane Boulos

Vous êtes un artiste épris de la capitale libanaise. Vous y avez séjourné plusieurs fois et y avez monté plusieurs spectacles. Comment a commencé cette longue histoire d’amour ?
Mon histoire avec Beyrouth a commencé physiquement en 1997 lorsque j'avais en projet ma mise en scène du texte de Jean Genet "Quatre Heures à Chatila" dont je m'étais chargé de mettre sur pied une tournée à Beyrouth, Amman et Jérusalem Est au Théâtre National Palestinien.
La première personne que j'ai rencontrée à Beyrouth est Elias Khoury dans son bureau à l'Orient Le Jour et je garde de ce premier contact avec ce grand écrivain une impression très forte. Il m'a spontanément ouvert la porte du Théâtre de Beyrouth où nous allions jouer avec ma partenaire Evelyne Istria, une magnifique actrice et notamment l'Electre inoubliable d'Antoine Vitez.
Mais je n'ai cessé de fréquenter Beyrouth à distance et en imagination dès l'enfance puisqu'ici en France la guerre du Liban occupait les premiers titres de nos journaux télévisés pendant près de quinze années, celles de mon enfance et de mon adolescence, images qui m'ont profondément et durablement marqué. J'y suis revenu en 2013 une nouvelle fois avec le texte de Genet mais cette fois au Théâtre Monnot grâce à Paul Mattar et avec une actrice libanaise extraordinaire Carole Abboud dont on sentait qu'elle portait sur scène en même temps que le texte tout ce qu'elle n'arriverait jamais à confier sur ce qu'elle a traversé de ces années de feu. Puis une autre fois en 2016 avec Yallah Bye toujours au Monnot qui fut ma première collaboration avec celle qui est devenue une amie, Josyane Boulos. Comme acteur en 2018 avec le très beau "Anquetil Tout Seul" de Paul Fournel mis en scène par Roland Guenoun. Et enfin plus récemment avec mon adaptation des Carnets d'Albert Camus avec la complicité de mon ami Bruno Putzulu au Théâtre du Boulevard toujours grâce au soutien de Josyane Boulos. J'ai naturellement encore beaucoup d'idées de beau théâtre à proposer au public beyrouthin et j'ai hâte que nous nous retrouvions.

 

Quelle a été votre première pensée quand vous avez entendu les nouvelles de l’explosion du 4 Aout ?  Comment avez-vous ressenti cette catastrophe ? 

J'étais en Corse avec ma femme à la veille de quitter l'île au Cap Corse tout au bout de cette terre quand j'ai reçu l'image de ce souffle effroyable si impressionnant qui a tout dévasté avec une puissance que je n'avais jamais vue. Immédiatement je me suis précipité sur WhatsApp pour m'enquérir du sort de mes amis à Beyrouth. Josyane a été la première à me répondre et j'ai passé la soirée à échanger des questions et des réflexions avec elle. Voici quelle fut ma première pensée. Quant à mon sentiment il rejoignait je pense celui de beaucoup chez vous, pas un accablement mais une colère parce qu'il était bien clair dès le départ que ce qui avait tué là n'était pas une catastrophe naturelle mais le fruit du mépris d'une classe minoritaire et "dominante" à l'endroit d'une autre bien plus large, le peuple.

 

Vous avez dernièrement joué avec beaucoup de succès “Les Carnets de Camus”. Quel passage des écrits de Camus, pourriez-vous dédier à vos amis Libanais et à tous les Libanais ? 

Peut-être ce passage sur les politiques justement : "La politique et le sort des hommes sont formés par des hommes sans idéal et sans grandeur, ceux qui ont une grandeur en eux ne font pas de politique. Chaque fois que j'entends un discours ou que je lis ceux qui nous dirigent je suis effrayé depuis des années de n'entendre rien qui rende un son humain. Tout vient de ce que ceux qui sont chargés de parler pour le peuple n’ont pas, n’ont jamais le souci réel de la liberté. On voit sortir des tas de nouveaux moralistes et leurs conclusions sont toujours les même : Il faut se mettre à genoux ! Ce qui leur manque aux politiques c'est l'imagination. Ils s'installent dans l'épopée comme dans un pique-nique. Et les remèdes qu'ils imaginent sont à peine à la hauteur d'un rhume de cerveau. 
Ce sont toujours les mêmes mots qui disent les mêmes mensonges. 
Mais que les hommes s'en accommodent, que la colère du peuple n'ait pas encore brisé les fantoches, j'y vois la preuve que les hommes n'accordent aucune importance à leur gouvernement et qu'ils jouent, vraiment oui, qu'ils jouent avec toute une partie de leur vie et de leurs intérêts soi-disant vitaux. "
 

Vu de loin, pensez-vous que ce pays mille fois meurtri peut reprendre vie à travers la culture et le théâtre ? 

Comme disait jadis un grand metteur en scène français Jean-Marie Serreau "Le théâtre est toujours au bord de naître et au bord de mourir." J'ai souvent pensé au Liban en me répétant cette phrase. J'ai toujours été impressionné et séduit par la force de vie qui habite le peuple libanais malgré les blessures à vif et les mémoires encore fracturées, je suis sûr que les libanais sauront s'emparer de leur destin au moyen de tout ce qui fait qu'on n'est pas qu'un instrument de consommation : la culture, le besoin du vivant au travers de ses manifestations les plus nobles : l'instinct créateur en dépit de la force du vent qui nous plie.

 

Reviendrez-vous au Liban ? 

Naturellement dès que cela sera possible. J'ai noué avec votre pays un pacte secret qui m'est si particulier que je ne saurais bien l'exprimer. Il est quelques rares villes et pays au monde où l'on se sent spontanément à sa place, comme si l'on en partageait le passé et les espoirs.

 

Un message d’espoir pour les Libanais ?

Je finirai par une phrase de mon ami invisible, Albert Camus : "On mène une vie difficile à vivre, on n'arrive pas toujours à ajuster ses actes à la vision qu'on a des choses. Mais un jour la terre a son sourire primitif et naïf. Des millions d'yeux ont contemplé ce paysage, et pour moi il est comme le premier sourire du monde. Il me met hors de moi au sens profond du mot, le monde est beau et tout est là ! 

 

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