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Du Rimbaud déclamé en arabe dans les salles de théâtre libanaise

17/03/2022|Margaux Seigneur

Des éclats de voix et de rires s’échappent des lourdes portes noires du théâtre de l’Institut français de Beyrouth. Ces élocutions sont celles du réalisateur François Stemmer qui, tel un chef d’orchestre, coordonne les répliques et orchestre les jeux de lumière de la régie. Après 10 intenses journées de répétition, c’est aujourd’hui la dernière étape avant la première rencontre avec le public libanais le 17 mars 2022. 

 

“Ils sont prêts !” s’élance celui sans qui la mythique pièce de théâtre “7 teen” n’aurait jamais vu le jour. Mais alors qui sont-ils, celles et ceux qui sont parés à revêtir l’habit de comédien durant 5 représentations ? 

 

Faites donc entrer les artistes ! 

Les voici, les sept adolescents libanais, sélectionnés parmi une quarantaine d’autres jeunes durant un workshop de deux jours. Après avoir dansé, parlé, échangé́, et partagé des moments sur scène mais aussi en dehors du plateau, l’œil de Stemmer s’est posé sur “des personnalités et des silhouettes qui ressortent." 

“En voyant les corps qui s’expriment, j’imagine tout de suite la scénographie. Les tableaux apparaissent naturellement”.
L’enjeu principal de ce projet théâtral réside effectivement dans la tentative de raconter l’histoire, intégrant une énergie affolante et une fragilité époustouflante, de sept adolescents. 

 

Cette mise en scène éphémère par excellence se trouve être le fruit d’un projet produit et reproduit pendant plus de 10 ans dans lequel Stemmer scénographie les corps de jeunes en pleine transformation, pour les faire dire, chanter, murmurer ou encore danser Rimbaud. 

 

Le défi du langage

Alors que le corps relève d’une importance capitale dans la scénographie de François Stemmer, il y a un détail qui ne peut être ignoré quand on déclame Rimbaud sur scène ; la langue.
Si Arthur Rimbaud est à la poésie française ce que Fairuz est à la musique libanaise, alors comment surmonter l’incompréhension linguistique qui peut être générée sur scène devant un public arabophone ?

 

“Je n’ai pas monté ce spectacle pour les Français mais pour le Liban” déclare ainsi François Stemmer. 

 

“Le poème que lit Fatima (l’une des sept comédiennes), a été traduit en Libanais par une jeune interprète qui était là pendant les auditions. Elle traduisait à chaque fois que je parlais aux personnes ne comprenant pas le français. Parce que parmi les sept comédiens, il y en a deux qui ne sont pas francophones, il a fallu recourir à la traduction.” 

 

Beaucoup auraient pu penser que l’absence d’une langue commune représenterait un problème. Et pourtant ; “Ça n’a pas été compliqué. Forcément c’est plus long parce que ce passage vers la traduction est nécessaire, mais comme ce n’est plus une interprète qui traduit mais une personne devenue membre de la troupe, il y a une écoute qui est différente, un partage qui est particulier.” 

 

Alors que la poésie de Rimbaud renvoie à l’universalisme de l’adolescence, ses vers peuvent être déclamés dans toutes les langues, du moment que c’est la jeunesse qui l’incarne comme le souligne Stemmer : “Le poème de Rimbaud est porté par le corps de l’adolescent.”

 

“Même si je ne comprends rien au libanais, le fait d’entendre Arthur Rimbaud dans la bouche d’une jeune m’émeut. Je sais que c’est le Bateau ivre qui est dit, c’est magnifique ! Et moi ça me suffit. Ce que me disent les autres qui écoutent et qui comprennent c’est que c’est doux, c’est beau, etc. En somme les adjectifs que j’aime utiliser quand je parle du Bateau ivre. J’ai donc complètement confiance.” 

 

Une période passagère qui demeure l’œuvre d’une vie 

Pour Stemmer, “Il y a cette énergie folle dans l’adolescence. D’ailleurs Rimbaud le résume magnifiquement quand il écrit “J’ai créé toutes les fêtes, tous les triomphes, tous les drames. J’ai essayé d’inventer de nouvelles fleurs, de nouveaux astres, de nouvelles chairs, de nouvelles langues. J’ai cru acquérir des pouvoirs surnaturels. Eh bien ! Je dois enterrer mon imagination et mes souvenirs ! Une belle gloire d’artiste et de conteur emportée ! Moi qui me suis dit mage, ou ange dispensé de toute morale, je suis rendu au sol avec un devoir à chercher et la réalité rugueuse à étreindre”. 

 

“Les jeunes c’est ça !” reprend le metteur en scène. “Ils veulent changer le monde, inventer de nouvelles langues et pourtant il y a cette réalité de la vie qui rattrape. C’est commun pour tous les adolescents du monde. Par ailleurs, ici au Liban il y a cette réalité de leur pays qui leur fait mal et pourtant demeure l’espoir d’un avenir meilleur !” 

 

Les scènes seront ainsi celles qui révéleront sept adolescences, sept existences en phase de construction et de reconstruction. “Mon travail c’est de les mettre en lumière individuellement, de poétiser leurs adolescences” explique François Stemmer. 

Parce que Rimbaud est avant tout un adolescent qui écrit et qui parle élégamment des mal-êtres, des désespoirs mais aussi d’espoirs qui demeurent car tout est possible à 17 ans comme l’illustre François Stemmer. “Il y en a un qui veut être comédien, il y en a un autre qui souhaite être danseur. Il y a un jeune qui est cuisinier et qui souhaite devenir le meilleur cuisinier de Beyrouth. Ils veulent tous réussir ici.” 

 

Le corps des ados et les mots de Rimbaud 

“J’observe beaucoup les jeunes par le corps ; la façon de marcher, de se tenir, etc. Tout cela raconte énormément. Ils ne peuvent pas se cacher alors qu’avec des mots on peut se donner une fausse assurance, une allure faussée. Ce qui est magnifique chez les adolescents c’est que tout est exacerbé ! Dramatiquement parlant c’est beau. Il n’y a pas de demi-mesure. Tout est entier.” 

 

C’est sans doute pour cette honnêteté crue, cette pudeur mise à nue et cette réalité impossible à camoufler que Stemmer porte une importance presque sacrée à la place du corps sur scène. Des corps qui malgré eux, disent leurs réalités d’adolescents, leurs histoires remplies de déception et d’espoir. La bouche se ferme et soudain, c’est le corps lui-même qui énonce Rimbaud. Quand il a fallu chercher l’interprète du poète disparu, c’est encore une fois à travers le corps que François Stemmer s’est tourné : “la fragilité de Fatima accompagne parfaitement Rimbaud et c’est pour ça que c’était une telle évidence.” 

 

“Le corps raconte énormément. Il n’y a pas besoin de mots. Dans mes pièces il y a très peu de prise de parole mise à part celle de Rimbaud. Par exemple, dans cette pièce la seule fois où chacun prend la parole c’est une phrase où ils expriment ce qu’ils espèrent pour le Liban.” 

 

Une réalité libanaise qui résonne sur scène 

Alors que le metteur en scène français jouit de la faculté de raconter les solitudes des uns et les énergies des autres, cette opération théâtrale s’annonce des plus fulgurantes.
Effectivement, on ne peut que saluer la rigueur avec laquelle est mis en scène l’éloge de la vie, de la jeunesse de chacune et chacun, escorté par l’adolescent sublime : Rimbaud ! Dès lors, le public devra s’attendre à une succession de tableaux aux enchaînements aussi logiques que poétiques. 

 

Si la très fameuse phrase de Rimbaud “On n’est pas sérieux quand on a 17 ans” résonne dans tous les esprits dès lors qu’il s’agit de décrire l’adolescence, François Stemmer nous susurre une autre formule de son auteur fétiche qui symbolise, selon lui, l’esprit de la jeunesse libanaise “Allons les 2 poings dans les poches et en avant.” 

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