Propos recueillis par Zeina Saleh Kayali
Alors qu’il vient de participer à une conférence à trois voix à l’Institut du Monde Arabe à Paris, avec Zeina Abirached, auteure de romans graphiques et Leila Shahid, ancienne ambassadrice de Palestine dans plusieurs pays européens, l’architecte Camille Tarazi, auteur de l’ouvrage ‘Vitrine de l’Orient’, répond aux questions de l’Agenda Culturel.
Quel était le sujet de la conférence ?
C’était une discussion à trois sur le Liban à travers celles et ceux qui l’ont vécu. Zeina Abirached et Le piano oriental de son arrière-grand-père et moi-même à travers l’histoire de ma famille. Leila Shahid nous a réunis afin de démontrer comment à travers de simples particuliers, toute une époque historique pouvait être retracée.
Comment cela est-il possible ?
Grâce au travail de mémoire, fait à partir de documents familiaux, d’anciennes photographies et surtout de la tradition orale des histoires familiales qui se transmettent de père en fils.
Vous vouliez également démontrer que le Moyen-Orient n’a pas toujours été cette poudrière que l’on connaît aujourd’hui ?
Exactement. L’Orient a derrière lui une tradition de civilisation millénaire et, bien qu’il ait été totalitaire, l’Empire ottoman permettait les échanges culturels et commerciaux entre ses différentes parties. Ce qui fait que l’on circulait avec beaucoup plus de facilité qu’aujourd’hui notamment entre le Machrek et le Maghreb. Cette circulation se faisait sans encombres et de façon naturelle. J’en parle dans mon ouvrage.
L’ouvrage ‘Vitrine de l’Orient’ évoque le parcours de votre famille ?
Oui, depuis 1796 et jusqu’à aujourd’hui : quel a été son destin, par quelles épreuves elle a dû passer depuis l’Empire ottoman, jusqu’au mandat français, la période de l’indépendance du Liban, la guerre civile et la renaissance.
Alors donnez-nous quelques détails !
La famille quitte Ourfa en 1796 et se dirige vers Damas où elle reste jusqu’au massacre de 1860 et là , elle se scinde en deux : mon aïeul (le grand père de mon grand-père) Dimitri Tarazi qui s’installe à Beyrouth et quatre de ses frères qui partent pour Athènes.
Que devient-il alors ?
L’un devient prêtre puis évêque, l’autre médecin (il faisait partie des fondateurs de l’hôpital orthodoxe à Beyrouth), le troisième se spécialise dans l’enseignement de la langue arabe et le quatrième s’associe avec mon aïeul dans le commerce d’objets orientaux. Nous sommes alors en 1868. Vers 1894 chacun ayant fondé sa propre famille, ils décident de se scinder en deux (tout en restant en excellents termes !) Mon grand-père Dimitri ouvre ‘Au Musée oriental’ et son frère André garde le nom grec de Terzis et fonde ‘Au magasin oriental’.
Comment les affaires se développent-elles ?
Parfaitement bien puisque c’est l’époque de ce que l’on appelle 'Le grand tour' de la Terre Sainte et les pèlerins qui viennent visiter la région se rendent à Jérusalem, Damas, Beyrouth, Palmyre etc.
Votre aïeul profite-t-il de cette apogée ?
Oui, puisqu’en plus du magasin de Beyrouth, il est également en mesure d’ouvrir une boutique à Jérusalem, ensuite à Damas, une autre au Caire, et même à Alexandrie !
Cet état de grâce va-t-il durer ?
Non hélas puisqu’à partir des années 1923-1926 une série de circonstances (mauvaise gestion, incendie, réquisition abusive par les ottomans, etc) mènent l’entreprise à la faillite. Georges Dimitri Tarazi, ne supportant pas l’idée de la faillite, rachète les parts de ses frères, et demande à ses enfants d’arrêter leurs études pour travailler à ses côtés et sauver l’honneur familial. C’est ainsi qu’ils se retrouvent au Maroc chez un oncle maternel déjà bien implanté sur place et finissent par ouvrir à partir de 1931 leur propre boutique à Rabat.
Qu’advient-il de la branche des Terzis restée à Beyrouth ?
Deux fils d’André Terzis décident, en 1939, de tenter l’aventure américaine et partent à l’exposition universelle de New-York. Mais la deuxième guerre mondiale éclate et ils restent bloqués sur place ! Ils ouvrent une boutique à Madison Avenue et jusqu’à la guerre du Liban, en 1975, font des allers-retours réguliers entre les Etats-Unis et le Liban
La situation avait entretemps bien évolué dans la région.
Oui, avec les problèmes de la Palestine, la débâcle de 1967 fait que le voyage en Terre Sainte ne peut plus s’effectuer comme par le passé, les nationalismes et les totalitarismes commencent à s’installer, les frontières à se fermer. Plus rien n’est pareil.
Chacun pourrait finalement s’identifier à vous. Beaucoup de familles levantines ont eu des destins comparables ?
Certainement et j’encourage tout un chacun à essayer d’en savoir plus sur le destin familial, de trouver des traces écrites, de les conserver et de les valoriser.
L’ouvrage est sorti le jour anniversaire des vingt ans de la disparition de votre grand-père Emile ?
Oui, ce n’était pas prévu ainsi, mais c’est certainement un signe et en tout cas un bel hommage.
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‘Vitrine de l’Orient’ paru aux éditions de la Revue Phénicienne, est disponible au Liban et sur internet via
www.antoineonline.com