‘Still Burning’ de Georges Hachem : Ce qui est et ce qui se crée
Le 09/01/18
Avec son deuxième long-métrage, ‘Still Burning’*, Georges Hachem, à l’écriture et à la réalisation, continue de tracer son chemin si singulier au cœur du cinéma local. Mettant à l’affiche Wajdi Mouawad, Fadi Abi Samra et Adila Bendimerad, ‘Nar Min Nar’ entremêle cinéma et mémoire au cœur d’une interrogation sur la responsabilité du cinéaste.
‘Still Burning’ raconte la réunion inattendue à Paris, en juin 1998, d’André, cinéaste libanais vivant et travaillant en France, et de Walid, son ami intime qu’il n’a pas vu depuis des années. Dans leur jeunesse, à Beyrouth, durant la guerre civile, tous les deux étaient portés par la même vocation artistique : le cinéma, mais aussi par la même femme : Amira. Leur réunion, lors d’une nuit blanche, ravivera-t-elle les démons réprimés de leur passé ? Tel est le synopsis du film.
Mais au-delà de l’histoire, matériau premier ou résultat ultime, ‘Still Burning’ est un film dont on ne peut raconter l’intrigue, tellement les multiples couches de lecture s’imbriquent, tellement chaque élément cinématographique s’intègre parfaitement dans la création de son ambiance si particulière. ‘Still burning’, en effet, sort du cadre, de tout cadre, il génère presque son propre genre, un genre lui-même indéfinissable. Il est difficile de l’aborder, d’en parler, de l’évoquer d’un point de vue critique, de décortiquer ses éléments. Alors on y plonge, les sens aiguisés, le cœur tout près du corps, l’esprit prêt à l’inattendu.
Le film vous empoigne et vous propulse aux bords d’une mémoire en feu. La vôtre, justement, puisqu’on en sort bouleversé, interloqué, intrigué, avec cette irrésistible envie de s’approprier le film, de sombrer dans ses recoins sombres, dans ses points d’interrogation, dans ses mystères non élucidés, dans la profondeur des sentiments humains qu’il déroule et enroule, l’amour, le désir, le corps, l’amitié, l’exil, la mémoire, sur fond de guerre et de cinéma. Comme dans ‘Balle perdue’, le premier long-métrage de Georges Hachem - Muhr du meilleur film arabe au Festival international du film de Dubaï 2010 -, la guerre, dans son deuxième long, est tout autant un élément indispensable du film, sans pour autant qu’elle ne le conditionne.
‘Still Burning’ se distingue sur la scène cinématographique locale, par son écriture, par son image, par la manière de traiter ses problématiques humaines. Ni populaire ni élitiste, ni expérimental ni classique, le film pose ses propres codes qu’il ne cesse de bouleverser tout au long de ses 110 minutes. Un élément clé de départ, clairement stipulé par Georges Hachem dans la note d’intention : “Le cinéma est le principal élément de référence dans lequel s’immerge le développement de l’histoire de ‘Still Burning’, d’autant plus que l’histoire est structurée et construite autour du thème si spécifique du film dans le film”.
Le spectateur devient donc le témoin de la création de ce ‘Nar´ au sein du ‘Nar Min Nar’. Un film dans un film où les deux s’interpénètrent jusqu’à brouiller les limites et les frontières. Jusqu’à brouiller la mémoire, ce deuxième élément clé du film. “Le cinéma, ajoute Georges Hachem, est une métaphore de la mémoire qui a recours à de multiples arrangements et bouleversements afin de reconstruire le passé”.
Les éléments sont posés, noir sur blanc, de manière aussi objective que possible. Mais c’est sans compter sur le pouvoir du cinéma, et plus particulièrement le cinéma si singulier de Georges Hachem, où aucun détail n’est superflu, où l’image renvoie conjointement à la réalité et à la fiction, à ce moment suspendu où elles se rejoignent dans une parfaite harmonie, dans une humanité qui défie les appartenances géographiques. Un cinéma où tonnent, dans l’œuvre finale, à l’écran, tous les choix judicieux du cinéaste, en amont et en aval.
D’abord, le casting : Wajdi Mouawad, Fadi Abi Samra, Adila Bendimerad, Rodrigue Sleiman, Rami Nihawi. Le jeu ne cesse de glisser, de s’aventurer dans les profondeurs du caractère de chacun, du détachement premier à l’implication progressive des personnages ; une évolution délicatement perceptible dans chaque trait, dans chaque plan de caméra, dans les silences et les regards. Entre le présent et le passé, entre Beyrouth et Paris, entre ce qui a été et ce qui se crée, entre les événements vécus et leur transposition subjective, entre l’arabe, le français et les accents qui émaillent les discours et les dialogues, Camille/Nadine/Amira, Walid/Elie, André/Mouhammad, chacun face à lui-même, face à l’autre, face au personnage qu’il incarne, face à l’image qu’il se fait de lui-même ou de l’image qu’il projette. Jusqu’à la merveilleuse scène de la confrontation, cette nuit blanche où éclate le triangle de sentiments, à mesure que la lumière se fait nuit.
La tension du jeu et des personnages est renforcée par l’esthétique de l’image et du son, signés, respectivement, Andreas Sinanos, connu surtout pour son travail sur de nombreux films de Théo Angelopoulos, et Zad Moultaka dont la bande son, à la fois oppressante et cérémonieuse, ne cesse de monter en crescendo, d’exacerber les drames qui se nouent pour se renouer. Porté plus loin que l’idée du cinéaste démiurge, le cinéma est un choix, un choix qui se doit d’être responsable. Envers le 7e art, envers soi, envers le spectateur. Georges Hachem l’assume entièrement, pour notre ultime plaisir.
Nayla Rached
*Sortie prévue le 11 janvier 2018 dans les salles de cinéma.