‘‘L’artiste, c’est le miroir de la société’’, selon Bassam Geitani,
‘‘et dans cette exposition, c’est ma vision, mon monde et ma conciliation avec Dieu. Quand la vision des gens est floue, c’est par le miroir qu’on la corrige : le miroir c’est à la fois l’image de la vision mais aussi ce qui permet de l’améliorer et donc de rendre lisible.’’ L’exposition ‘Shathaya’ à la Galerie Janine Rubeiz est une articulation de plusieurs éléments, une expérimentation. Elle propose un travail calligraphique sur dix-neuf noms d’Allah dynamisé par l’approche scientifique et artistique de l’anamorphose. En somme, les noms ne sont lisibles que dans le miroir qui les reflète, fonctionnant par phénomène physique comme apparition mystique. Les éléments de la guerre et du divin se côtoient, se confrontent et se mélangent dans le but de dénoncer la guerre faite au nom de Dieu. Cette exposition est l’expression d’une tension entre la religion et son interprétation erronée.
Bassam Geitani est un artiste contemporain basé au Liban. Son travail questionne sa vie quotidienne à Beyrouth, ville perturbée par des changements politiques et sociaux en cours. Ceux-ci ont été une source d’inspiration pour ses installations anamorphiques et calligraphiques. La pratique de Bassam tourne autour d’une exploration scientifique de la notion d’illusion d’optique et sa correction dans l’image, réfléchie grâce au miroir qui produit l’anamorphose, les débris, ‘shathaya’.
‘‘Le spectateur cherche Allah [le nom d’Allah] dans le débris, il cherche à l’intérieur de lui, efface les choses visibles’’, explique-t-il, ‘
‘car pour moi, Allah ne se trouve pas à l’extérieur de nous. C’est une immanence, il faut creuser au fond de soi pour le trouver.’’ Si bien qu’une guerre au nom de Dieu apparaît comme absurde pour l’artiste,
‘‘Dieu est martyrisé en son propre nom ! Les choses que l’on vit c’est cette tuerie, soi-disant au nom d’Allah, alors que c’est évidemment contre lui.’’ L’exposition se construit sur le désir d’expérimentation de son auteur :
‘‘Pour moi, ce n’était pas possible d’aborder ce sujet avec de la peinture par exemple, ça aurait été ridicule. Non pas que la peinture est une discipline ridicule, je ne dis pas ça, je dis qu’il faut être à jour, pour moi, et que l’on se doit d’expérimenter. J’ai quitté le pinceau dès ma première exposition pour me concentrer sur la psychologie de la matière, c’était d’ailleurs le nom de cette exposition. La liaison entre les débris et les mots renvoyait pour moi à quelque chose qui tourne de manière infernale. Je ne pouvais l’expérimenter que de cette manière. La forme de mon exposition est signifiante, c’est-à-dire qu’elle est la forme concrète du concept que j’ai choisi de traiter.’’C’est d’ailleurs ce qui surprend le plus lorsque l’on entre dans la galerie. Sur le mur opposé à la porte d’entrée, la tête d’un missile est pointé sur le spectateur, la forme conique du miroir la suggère, et ce missile est entouré d’un travail calligraphique qui tourne en rond, reflété sur le cône, ce dernier permettant de lire, en arabe, ‘‘entre 150 000 et 200 000 morts’’. Ces chiffres renvoient au nombre de morts de la guerre civile au Liban,
‘‘où les communautés se sont déchirées au nom de Dieu. C’est pour ça que j’ai choisi de travailler sur les différents noms d’Allah et que j’ai sélectionné les dix-neuf noms qui se prêtaient le mieux, pour moi, à toutes les religions : Al-‘Alim, Al-Mu’min, Al-Wahid, Al-Jabbar…’’ Le travail commémore toutes les victimes qui ont été tuées au nom de Dieu, ce que Bassam tente de reconstituer par un rituel commun consistant à envelopper le cadavre avant l’enterrement. Il a reproduit cette pratique commune de la religion musulmane en encapsulant du lin bleu autour du fer rouillé de ses calligraphies, des mots.
L’artiste, dans ce projet, incarne différents rôles qui tentent d’établir une esthétique de la problématique sociale et d’articuler des intentions artistiques avec un certain engagement politique. C’est un travail de déplacement et d’éparpillement. Tout vole en éclat, visuellement et sémantiquement. En utilisant les éclats d’obus, objets connotant la guerre, la mort et les blessures pour écrire les noms de Dieu, Geitani met en évidence la tension dans la situation controversée de tuer au nom du protecteur. C’est ce que cette exposition souligne : l’absurdité de la relation humaine et spirituelle qui balance entre signification et interprétation.
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